mardi 24 octobre 2023

Petit à petit, les petits piafs font leurs nids

Cette nuit, l'Étourneau dort pour la première fois dans sa nouvelle chambre (l'ancienne salle de jeu).

Depuis hier, on bouge des meubles, on trie des jouets. Hier, les enfants se sont partagés, sans conflits, les jeux de société. Aujourd'hui, ils ont attaqué le contenu de plusieurs caisses de jouets. Ça se passe beaucoup mieux que ce que j'anticipais (bon, enfin c'est le bordel, quand même).

Si on excepte ses premiers mois où l'Étourneau dormait dans notre chambre, et les très rares fois où on a dû exfiltrer l'un des deux, malade, de la chambre pour aller dormir ailleurs avec lui ou elle), mes enfants n'ont quasiment jamais dormi séparément. Bizarrement, c'est le Moineau qui avait le plus besoin de cette chambre commune, qui disait le plus avoir peur de dormir seule. Ces temps-ci, c'est elle qui a été à l'origine de la migration du petit vers l'autre pièce. Depuis des semaines, elle manifeste son impatience quand il la suit partout, revendique qu'elle veut jouer seule dans sa chambre, sans lui. Mais ce soir encore, au moment de se coucher, elle avait peur de dormir seule. Elle veut être seule le jour, mais pas la nuit (et en fait, même le jour, elle n'aime pas beaucoup être seule à l'étage, et préfère que son frère soit quand même juste à l'autre bout du couloir, pas trop loin.)

J'ai suggéré qu'ils fassent un pacte de courage avant d'aller au lit. À vrai dire, le petit avait l'air très content de rejoindre son lit dans sa nouvelle chambre. Quand je lui ai souhaité bonne nuit à travers la porte avant de descendre, il ne m'a même pas répondu. Et peut-être que je me fais des idées, mais il me semble qu'il a fait beaucoup d'efforts toute la journée pour être particulièrement autonome et grand sur plein de trucs.

Je m'attendais à être rappelée par l'une ou l'autre (surtout l'une), mais au bout de trois heures, rien. On verra si ça tient la nuit...

Mes petits oiseaux dans deux nids séparés. Encore une étape franchie.

mardi 7 février 2023

Plaisir

Réamorcer le plaisir. Pour essayer de lutter contre la frustration, contre l'anxiété, contre la colère. S'obliger à faire des choses pour soi, des choix pour soi, et rien qu'à soi. En parallèle des stratégies pour reprendre contrôle sur le boulot dévorant, pour retrouver du doux avec les enfants, en parallèle de la thérapie, aussi, qui est pour moi, mais qui n'est pas que du plaisir.

Le plaisir, comme une grosse boîte posée au milieu de mes pensées, avec plein de tiroirs que j'ai un peu oubliés depuis longtemps, un peu grippés parfois, ou qui contiennent des trucs un peu risqués aussi, peut-être. J'ai tourné autour de la boîte pendant un moment. Un peu perplexe, un peu défiante, pas très courageuse.

Finalement, j'ai tiré sur différentes poignées. Pour voir ce qui acceptait de s'ouvrir.

Le dessin est la seule chose que j'ai réussi à faire pendant mon arrêt. Alors j'ai continué à dessiner, notamment sur la belle tablette graphique offerte par Nawimba. Et puis ma mère m'a acheté du matériel pendant les vacances de Noël. Elle me tirait du côté de la peinture, et je résistais, parce que, j'aime pas, j'ai besoin d'un contact plus tactile et direct avec le papier, un truc qui gratte et qui résiste sous les doigts, pas un truc qui glisse. Quelque chose que je peux maîtriser, corriger, contrôler. Au milieu du reste, elle m'a quand même offert deux pinceaux à réservoir et un bloc de papier "multi-techniques liquides". J'ai rouspété pour la forme, mais accepté. Et deux semaines plus tard, je suis tombée dans l'aquarelle. Je n'avais pas peint depuis... dix ans, peut-être? Et bon, oui, d'accord. Le plaisir dans les couleurs, et même, oui, dans l'obligation de lâcher un peu prise. L'impression de ne rien y comprendre au début, mais une espèce d'obsession, des fleurs qui s'impriment sous mes paupières le soir quand je les ferme. Alors j'essaye de peindre au moins un peu chaque week-end. Au moins chaque semaine.

La musique un peu, aussi, là aussi grâce à un cadeau de mes parents à Noël. Un beau kalimba. Le plaisir des notes cristallines. Le plaisir de retrouver des mélodies à l'oreille. De gratouiller tout doucement des séries de notes sans besoin d'aller forcément quelque part avec..

Un autre tiroir que j'ai rouvert il y a dix ou quinze jours est celui de la lecture. Depuis mes cinq ans, je n'avais jamais aussi peu lu qu'en 2022. J'ai arrêté en février, je crois, et à peu près plus rien lu jusqu'à ces derniers jours, sauf la première partie du roman qu'un ami était en train d'écrire, en fin d'année. Sans réussir à lire les parties suivantes. Bloquée, bloquée, bloquée. La fiction qui avait toujours été une des options pour m'évader de moi-même était devenu très angoissante. Une échappatoire de moins, à un moment où j'en aurais vraiment eu besoin.
Mais ça va mieux, alors: j'ai repris un livre, puis deux, puis trois. Et repris le roman de mon ami, aussi.

Un autre tiroir va s'ouvrir bientôt avec l'arrivée du printemps. L'avidité à regarder les fleurs, les oiseaux dans le jardin, les insectes dans l'herbe. Le soleil chaud dans le dos ou éblouissant dans les yeux. Ça a l'air con et mièvre, dit comme ça, mais ça me remet d'équerre chaque année. Les couleurs, la lumière. Les photos de ciel. Les doigts dans la terre.

Le tiroir suivant était fermé depuis 8 ans. Je planifie une mission de terrain. Si ma demande de financement est acceptée, je vais retrouver le Vanuatu cet été. Brièvement, mais... je retourne au Vanuatu. Les larmes aux yeux rien que d'y penser, alors même que ça ne me manquait pas consciemment. J'irai peut-être même à Maewo. "Pour aller retrouver ma source", comme disait Anne Sylvestre (oui, encore elle).

C'est pas si mal, en quelques semaines.

dimanche 29 janvier 2023

À tous vents

On me dit parfois que je suis opaque, difficile à lire. J'ai pourtant, moi, l'impression d'être ouverte à tous vents. Mes émotions qui suintent ou débordent. Ma porosité à celle des autres aussi, ou leurs idées. Il m'est souvent difficile de savoir où je commence, où je m'arrête, si ce que je pense est à moi ou non. Difficile de me confronter à l'opinion de quelqu'un d'autre sans que la mienne s'effrite. De privilégier mes besoins, parce que tu sais, mais, ceux des autres, là.

L'histoire de l'opacité, cependant, ne sort pas de nulle part. J'ai aussi beaucoup protégé ce qui pouvait, ce qui devait l'être. Mes mouvements de dépression, notamment, et mes mouvements d'avidité. La colère, aussi, jusqu'à il y a peu. Pour résumer, les choses trop honteuses et trop précieuses et trop sales et trop essentielles et trop dangereuses et trop fragiles pour être confiées à n'importe qui.

J'oscille depuis toujours entre la tentation de la fusion et celle de l'autarcie. Et je sais, depuis longtemps, qu'il ne m'est pas simple d'entretenir des relations amicales ou amoureuses équilibrées et approfondies, parce qu'aucune de ces deux positions ne le permet. Je me raconte assez facilement, pourtant. Beaucoup d'histoires, de faits, de récits. Mais avec beaucoup de gens, j'ai l'impression de retenir un truc indéfinissable, qui serait "moi", plus que la collection de récits qui me décrivent... Pour faire diversion, ou pour disparaître partiellement, ou parce que ça me donne l'illusion d'être essentielle pour l'autre, j'ouvre en grand. Les oreilles, le cerveau, l'empathie. J'abolis mon enveloppe déjà trop perméable, avec une espèce de jeu de miroirs, qui invite à se déverser en moi, tout en refusant ce "vrai moi" à la personne en face de moi.

Et parfois, elle a effectivement ce besoin-là. Et me remplit d'elle-même. De son mal-être, en général, faut pas se leurrer. Pour moi, ça fait un truc pulsionnel; excitant, très addictif, aussi. Disparaître, ensevelie sous l'autre, son psychisme. Et en même temps, je peux être un peu brutale, dans ce moment de fusion. Rentrer dans la personne en face.
Je finis de temps en temps par mal supporter cette asymétrie, d'ailleurs, et par me sentir amère de ne pas être écoutée, qu'on ne soit pas là pour moi. De ne pas avoir de réceptacle dans lequel verser mes propres trop-pleins. Mais je sais que ce n'est pas facile, de m'entendre, une fois que cette configuration s'est installée. Et c'est compliqué d'en sortir, autrement que par une rupture ou un abandon.
C'est encore plus compliqué (et rare dans mon histoire, heureusement), quand je me perds dans mon propre labyrinthe et m'immerge complètement dans le fusionnel, sans plus rien protéger, ni maîtriser.

Par chance, souvent, la personne en face est autant sur ses gardes que moi. On reste alors en surface, et c'est plus confortable, d'une certaine façon. Plus facile, plus léger. J'ai eu des périodes où je n'avais que des relations de copinage de ce type. Mais si je me heurte à une crise, je suis seule.

Quelquefois, aussi, l'autre est un peu plus fin·e que moi, ou un peu plus solide, ou un peu plus serein·e. Refuse de s'engouffrer dans les ouvertures béantes et invitantes, et attend patiemment que s'ouvrent les petites fenêtres plus discrètes. Ce qu'il y a derrière est peut-être moins séduisant, mais moins fou, moins violent, et plus vrai. Ou plus "moi", disons. Avec mes besoins réels, mes frontières, que ce type de relations fait réapparaître.
Des gens qui me consolident, en somme. Qui rendent plus claires les limites entre dedans et dehors. Qui m'autorisent à les rencontrer autrement que sur le mode du déferlement.

C'est pas très juste d'exiger ça, mais: gens solides qui ne perdez pas des bouts de vous-mêmes à chaque mouvement, étayez-nous.

samedi 21 janvier 2023

Lectrice

Le Moineau a commencé à apprendre à lire vers 3 ans. Un pied sur l'accélérateur et un pied sur le frein pendant des années, sans doute parce qu'il était trop évident qu'on la guettait. Lire, c'est IMPORTANT. Un peu trop, quoi.

Mais l'entrée en CP a débloqué ça. La lecture, ce n'est plus "faire plaisir à Papa-Maman, mais pas trop, mais un peu quand même.". Ce n'est plus juste : lire les lettre et les syllabes et les mots. D'un coup, vers la fin novembre, elle a basculé dedans. Ça a fait un grand PLOUF. Dans la mer des histoires, des informations à chercher toute seule, du lien qui se fait entre les choses. Sans nous. T'as déjà vu un moineau qui prend son bain avec délectation? Ben mon Moineau, qui s'ébat dans le grand bain des livres, pareil.

Dans tous les canapés et fauteuils de la maison, dans son lit enfouie sous la couette, allongée sur le tapis dans la salle de jeu, ou dans le petit coin lecture avec les pieds posés sur la bibliothèque. Un bouquin rapporté de l'école chaque jour. Plusieurs dévorés chaque jour passé à la maison. Elle commence même à préférer lire seule le soir plutôt que de nous écouter lui lire une histoire. Et elle fait maintenant seule la partie "lecture" de ses devoirs.

"Maman, apparemment, le soleil n'en est même pas à la moitié de sa vie!"

"Maman tu sais, j'ai lu mon livre dans mon lit, et je me suis endormie, et après je me suis réveillée, et j'ai fini de lire le livre."

"Maman, je peux avoir un livre sur les champignons?"

La joie de la voir découvrir chaque micro-plaisir associé à la lecture. Le bonheur de se dire que ça ne fait que commencer pour elle. Ça fait partie des choses qui éclairent cette période tristoune.

vendredi 20 janvier 2023

1986-1987 : Chambardements

Je fête mes trois ans début juin. Pour m’acclimater à l’école, j’y vais pendant un mois, avant les grandes vacances. Je n’ai qu’un seul souvenir de ma première institutrice et il est inquiétant. Une dame imposante et légèrement menaçante se découpe à contre-jour dans un couloir un peu sombre (derrière elle, la lumière du jour, en provenance de la salle de motricité). Elle a des cheveux roux, courts et bouclés.

L'été arrive. Je vis apparemment mal la toute fin de la grossesse de ma mère, et demande à aller passer chez mes grands-parents le temps qui reste avant l’arrivée du bébé, ce qui ravit ma grand-mère.

Je n’ai aucun souvenir de la naissance de Y. début août, et en fait, aucun non plus de ses premiers mois. Une photo le montre tout petit dans les bras de mon grand-père, mon père et moi à leurs côtés. J'ai un air dubitatif, voire légèrement dégoûté.

En septembre, j’entre pour de bon en maternelle. La première de mes vingt-quatre années de scolarité !

jeudi 12 janvier 2023

La pente

Il faudrait se laisser glisser, rouler, couler.
Suivre la pente en douceur.

Mais la pente n'est pas douce.
Elle est dure, et casse-gueule.
Tu crois que descendre, c'est plus facile que de monter?
Saloperies de petits graviers qui te roulent sous les pieds.

Et tu ne sais pas si en bas, c'est la terre ferme, ou le fond du gouffre.
Si tu vas reprendre pied ou te noyer.

T'as quoi à y gagner?
De la sérénité.
Peut-être.

T'y vas, mais c'est heurté.

dimanche 1 janvier 2023

Trop peu de pommes au pommier

De 2022, j'ai été tentée de dire que c'était une année sèche, une année à vide. Mais j'ai beaucoup pleuré, et beaucoup débordé.

Si je réfléchis trois minutes, je trouve plein de moments chouettes, de plaisirs, de jolies choses à regarder, quelques fiertés et auto-satisfactions, aussi. Mais le sentiment qui prédomine, pour cette année, est l'accablement.

Beaucoup de frustration, beaucoup de colère.
L'épuisement.
L'angoisse massive et répétée.
La dépression.

Dans mes relations familiales, professionnelles, amicales parfois. À cause de l'état du monde, aussi, qui me terrifie, et que je peine à tenir à distance.

Je garderai probablement de cette année le sentiment de la difficulté à communiquer, à me faire entendre et écouter, et sans doute aussi, à écouter les autres, parce que je n'ai plus l'énergie de le faire, et que cela s'est toujours beaucoup fait à mes dépens.
L'impression de ne plus avoir de marge du tout, que les réserves dans lesquelles je suis obligée de puiser depuis des années sont à sec. L'envie qu'on s'occupe de moi comme d'une très petite fille, ou de voir des gens et de laisser l'extérieur me donner du bien-être, ou au contraire d'envoyer bouler le monde entier, parce que j'en peux plus.

Mes rôles de mère, d'amoureuse, d'amie, d'enseignante, de responsable de département demandent que je m'occupe, que je prenne soin des autres. Je n'y arrive plus très bien. Et je ne sais ni comment y arriver à nouveau, ni comment réduire la voilure pour prendre soin de moi. J'ai passé le creux très creux de la vague en novembre, mais si rien ne change, je me retrouverai à suffoquer à la prochaine. Je ne regretterai pas 2022, mais je ne peux pas dire que j'aborde 2023 avec enthousiasme.

Je me cramponne, je crois, à ce qui m'apporte du plaisir. À ceux qui m'apportent du bien-être et de l'écoute, aussi. Au-delà de mes très proches, pas mal de monde sur les réseaux sociaux. Les remerciements adressés ci et là à ceux qui m'ont fait du bien avec leurs mots ne sont pas à la mesure de la gratitude que je ressens. J'espère que vous vous reconnaîtrez si vous passez par ici. Merci d'être là.

(Le titre de ce billet est une citation d'Anne Sylvestre. La chanson est écoutable ici)

mardi 29 novembre 2022

Muzoo

Il y a longtemps, le Moineau a commencé à inventer une langue à elle, le muzoo. Elle m'a confirmé l'orthographe depuis, mais ça se prononce comme "museau". Elle inventait et réinventait le lexique au fur et à mesure. Nous donnait parfois des longues explications sur l'évolution phonétique ("Avant, tel mot se prononçait comme ci comme ça mais maintenant ça a changé, c'est devenu comme ça."). Bon, une fille de linguistes, standard, quoi.

Pour autant que je puisse en juger, le muzoo est une langue à tons, avec un système phonologique pas trop complexe, et des mots plutôt longs. Et beaucoup beaucoup de synonymes, vu qu'elle ne se souvient pas d'une fois sur l'autre des mots qu'elle invente...

Et puis au bout d'un moment, elle a commencé à créer un pays imaginaire autour de la langue muzoo. Le Muzoo. Elle donne régulièrement un ou ou deux détails sur la géographie, la vie au Muzoo. Elle semble vraiment le vivre au quotidien. Le Muzoo se balade autour d'elle quand elle bouge, sous nos yeux. Merveilleux (merveille-yeux?) Il y a un an à peu près, elle a commencé parler de l'Hexamone (c'est moi qui orthographie, elle ne m'a pas dit comment ça s'écrit). Un énorme rocher, qui surplombe un grand lac, avec une cascade. L'Hexamone est creux, on peut vivre dedans.

Au Muzoo, depuis quelques mois, il y a aussi des villes, qui ont des noms de fêtes. Noël, Halloween, Pessah. Elle a embarqué son frère dans son délire. Leur ville préférée c'est Halloween. Et samedi dernier, elle a décidé qu'à Halloween, ce jour-là était l'anniversaire de l'Etourneau (oui, y a des anniversaires différents, au Muzoo. Ptet dans chaque ville. Je suis pas sûre.). Elle lui a préparé un cadeau, et on a fait un gâteau. Et on a chanté "Joy'Halloween-versaire".

Il y a quelques jours, j'ai appris que les habitants du Muzoo était les muses. Et ce matin, elle m'a annoncé qu'elle ne vivait plus à l'Hexamaune, mais sur une île merveilleuse (mer-veilleuse?). Et que le Muzoo n'était pas juste à côté de la France, mais avait même un bout en commun avec.

Souvent, je reconnais des choses à moi, chez ma fille. Souvent des choses que j'aurais préféré ne pas lui refiler. Mais l'imagination débridée, c'est son père. Et c'est une source d'admiration sans fin pour moi.

Je la regarde du coin de l’œil, ma fille. Je ne peux pas m'empêcher de noter tout ça dans un coin de ma tête, d'arpenter derrière elle les espaces qu'elle crée, en essayant de ne pas être trop intrusive.

Ma merveille. (Mère-veille?)

vendredi 4 novembre 2022

1985-1986: Premiers souvenirs

Mon plus ancien souvenir date, je crois, de cette année-là.

Je suis chez mes grands-parents, dans une entrée assez sombre. Un escalier qui me semble très haut et très raide part sur ma gauche. Il y a peut-être une petite fenêtre en haut des marches. Et une porte en face de moi, je crois.

Je ne sais même pas si c’est mon souvenir que je raconte, ou le souvenir de mon souvenir. C’est en tout cas l’un des seuls souvenirs de ma très petite enfance qui ne soit pas imprégné d’une très forte émotion.

Dans un autre sans doute un peu plus tard, je cours pour rattraper mes grands-parents, qui m’ont un peu distancée sur une route. Je tombe, un caillou pointu m’entaille profondément le genou. J’ai sans doute pleuré, mais je ne m’en souviens pas. Juste de la course et de la chute.

J’ai toujours la cicatrice.

Dans un troisième, je cours, pleine d’allégresse, dans les coursives de l’Université Lyon II, où travaille mon père. Il m’y emmenait quelques fois, et je fréquentais de temps en temps la halte-garderie (oui, il y avait une garderie à Lyon II dans les années 80. Je ne sais pas si vous vous rendez-compte, je n’ai jamais revu ça dans aucune fac...)

J’ai eu quelques cours dans ces locaux, pendant mes premières années d’études. Mais le sentiment de familiarité que j’ai avec ces lieux, et l’affection que j’ai pour eux, date de l’époque où je n’avais aucune idée de ce qu’on y faisait. Il y avait juste de longues coursives vides, le soleil entre les barreaux des balustrades, les jardins.


Ma mère est enceinte de mon frère, cette année-là. Je n’en ai, pour le coup, aucun souvenir.

dimanche 30 octobre 2022

1984-1985: Jumelles

J’ai réalisé après avoir écrit mon premier texte que je n’y parlais presque pas de moi.
Mais moi, sans les souvenirs, c’est quoi ?
Des discours à propos de moi. Les mots des autres.

J’ai vécu mes premières années sur la colline de Fourvière, à Lyon. Mais mes parents rénovaient sur leur temps libre, une vieille maison en Isère, dans l’idée de s’y installer un jour. Il s’agissait d’un des bâtiments d’une vieille ferme, possédée par un couple de leurs amis. Les Blaches. On va aux Blaches.

Nous y passions donc souvent les week-ends et une partie des vacances, quand j’étais toute petite. J’ai beaucoup de souvenirs plus tardifs de cette maison, dans laquelle nous sommes souvent retournés même après que mes parents ont renoncé à leur projet. Elle est à l’origine de mon amour pour les vieilles baraques de campagne poussiéreuses, dont toutes les pièces sont pleines de bric et de broc et de vieux livres. Mais je n’ai pas de souvenir personnel de là-bas avant mes 4 ans.

J’en ai beaucoup entendu parler, en revanche. La famille des amis de mes parents étaient haute en couleur, et nombre d’anecdotes appartenant à la légende familiale datent de ce temps-là.

Une ambiance sonore. Le son des violons malmenés par les enfants qui débutaient. Les aboiements du montagne des Pyrénées de mon père, et de celui des amis. Les pigeons. Les déconvenues de mes parents, aussi, qui se formaient sur le tas à tout un tas de techniques manuelles et de bricolage, avec… plus ou moins de succès.

Les conneries des enfants, aussi. Les amis de mes parents avaient 6 enfants, tous un peu surdoués (ou beaucoup), tous musiciens. Tous un peu frappés, je crois. La cinquième d’entre eux, M., avait un mois de plus que moi. Quand nous étions aux Blaches, et tant que le bâtiment que mes parents rénovaient n’étaient pas terminé, nous dormions elle et moi dans la même chambre dans un autre bâtiment, chaque couple parental se trouvant à une extrémité du couloir.

M. et moi avons vite pris l’intéressante décision de pleurer de la même façon. Nos parents se levaient donc en alternance. Et si leur progéniture n’était pas à l’origine du raffut nocturne, ils braillaient « C’est à vouuus ! » avant d’aller se recoucher.

Presque 40 ans plus tard, cela les fait toujours beaucoup rire.

Je ne sais pas si M. et moi sommes aujourd'hui amies, ou même copines. Nous nous voyons peu et ne sommes plus très proches, parce que… la vie. Mais les retrouvailles sont, ont toujours été paisibles et confortables.

De loin en loin, elle reste « ma jumelle ».

Sagesse

Dans les derniers jours, j'ai été anxieuse à propos de:

  • mon lieu de travail
  • mes cours
  • mes réunions
  • mon article qui n'avance pas
  • mes vacances
  • l'idée de lire mes mails
  • l'idée d'ouvrir mon ordinateur
  • des désaccords avec des gens sur les réseaux sociaux
  • des trucs que j'ai dit sur les réseaux sociaux avec un peu plus de visibilité que d'habitude

Et puis hier, une fois couchée, alors que je réfléchissais à ce qui me stressait sur le moment, m'est revenue une phrase de mon beau-père (qui ne m'était pas adressée, mais qui fait son chemin quand même.):

"Eh, à la grande fête foraine de l'angoisse, t'es pas obligé de faire tous les manèges!"

Et, bon, l'angoisse, c'est justement le truc que tu contrôles pas, mais hier, l'affirmation m'a fait rire, et l'angoisse est redescendue d'un cran.

Si on m'avait qu'un jour je m'appuierais sur la sagesse de Beau-Papa pour réguler mon humeur...

mercredi 26 octobre 2022

1983-84: Au tout début

Je suis née.




Quatrième enfant de mon père, première enfant de ma mère.

S’interroger sur sa propre naissance, c’est toucher à quelque chose d’avant, qui n’appartient qu’à ses parents.

Du prologue, je ne sais évidemment que ce qu’ils m’ont raconté. Qu’elle pensait ne pas vouloir d’enfants, qu’elle avait peur d’être aussi toxique que sa propre mère. Qu’il a insisté, lui qui était déjà trois fois père, parce qu’il avait peur qu’elle regrette plus tard ce choix. Et qu’elle a accepté, à condition de prévoir deux enfants, parce qu’elle ne voulait pas condamner son enfant à être aussi solitaire qu’elle l’avait été elle-même. Deux ou rien, c’était le deal.

Ce que je crois, moi, c’est qu’il n’a pas eu trop de mal à la convaincre. Leur relation date de fin septembre 1981, et je suis née début juin 1983. Je ne sais plus quand j’ai fait le calcul, mais j’ai l’impression d’avoir toujours su que l’envie d’avoir des enfants pouvait venir vite, dans une histoire d’amour.

Je suis née d’une asymétrie, d’un père agé de quarante-cinq ans et d’une mère seize ans plus jeune. D’un père normalien, et d’une mère passée par un lycée agricole et une école d’assistante sociale. Sur le papier, c’était pas évident, cette histoire. Mais dans les faits, ça l’a été, évident, pour eux.

La légende familiale veut qu’ils aient été farfouiller dans un de ces bouquins recensant tout un tas de caractéristiques plus ou moins bidons sur les prénoms. Pour le mien, ça donnait :« Il faut s’occuper d’elle, sinon c’est elle qui s’occupe de vous, et c’est pire. » Ça les a apparemment décidés.

Ils m’ont donc prénommée. Et m’ont appelée ensuite, dès ma toute petite enfance, par un surnom que toute ma famille utilise depuis. Au point que j’ai mis plus de 25 ans à réussir à m’identifier, un peu, à mon prénom.

Petits cailloux et ricochets

Il y a bien longtemps, Kozlika avait lancé sur son blog un projet d'écriture à trouzemille mains, nommé "Petits cailloux et ricochets". Je crois que ça avait commencé comme un trajet autobiographique personnel, des petits cailloux déposés pour marquer le chemin de sa propre vie, et qu'elle a ensuite invité les copains à venir s'y associer. À venir faire ricocher leurs souvenirs ensemble.

L'idée était d'écrire un texte par année de vie, dans l'ordre chronologique en partant de la naissance, ou bien en remontant au contraire le temps à partir du présent. On était autorisé à laisser des années "blanches", mais il fallait créer un billet tout de même. Marquer le vide.

Le résultat est très chouette à lire, et je me souviens avoir crevé d'envie de participer, sans arriver à sauter le pas.

J'avais 23 ou 24 ans. Un peu jeune peut-être pour arriver à écrire de façon linéaire sur ma vie (même si mon blog ne parlait, déjà, que de moi, ou à peu près).

Depuis quelques jours, le souvenir des petits cailloux m'est revenu. J'ai commencé à faire l'inventaire des miens.

Koz m'a gentiment donné l'accès au blog. Les billets apparaîtront ici, et là-bas.

(Et je me suis collé une mini contrainte formelle en plus, parce que bon, sinon, c'est pas rigolo)

mardi 25 octobre 2022

Se reposer

"Repose toi"

"Il faudrait que vous fassiez du sport. Vous marchez, vous n'êtes pas sédentaire, mais il faudrait que vous fassiez du sport pour vous détendre."

"Allez marcher, faites des promenades."

"Faut faire du renforcement musculaire, pour ne plus te coincer le dos systématiquement."

Tout mon entourage familial, amical, réseau-social, médical, semble d'accord sur les solutions. Pour aller mieux. Il faut que je me repose, que je prenne du temps pour moi, que je lâche prise, que je fasse du sport.

J'entends bien. Je suis même d'accord sur le fond. Je voudrais juste bien savoir quand. Qui me libèrera du temps pour ça. Et qui me donnera le sentiment que je PEUX prendre ce temps, quand j'en ai besoin.

Il y a quelques semaines, j'ai dit non à un collègue qui me demandait de remplacer quelqu'un au conseil de laboratoire (mensuel). Ou plus exactement j'ai commencé à louvoyer, c'est le jour que j'ai bloqué pour la recherche, et j'ai mal au pied depuis des semaines, je ne peux pas promettre de pouvoir faire le trajet. Il m'a dit "D'accord. On n'est pas là pour esclavagiser les gens". J'en ai pleuré. Tellement c'est rare qu'un collègue entende et admette que je puisse dire non. Tellement c'est rare de ne pas avoir à batailler pour préserver dix minutes de mon temps.

La plupart de ces collègues ne sont pas d'horribles esclavagistes. Juste des gens eux-mêmes surchargés de travail. Qui veulent que la maison, les maisons en fait (le labo, la section, le département, l'établissement), tournent. J'en fait sans doute partie moi-même. Les mails jusqu'à minuit, les textos, les contraintes intenables, les délais, les transferts de charges administratives pour faire des économies de bouts de chandelles. Les collègues (souvent copains ou copines) qui me souhaitent du repos sont en partie les mêmes que celles et ceux qui font peser sur moi des contraintes. Et j'en fais peser sur eux aussi. Et chaque fois qu'un maillon lâche, la chaîne se tend pour tous les autres.

Mes enfants voudraient une maman qui crie moins, mais ont du mal à supporter que je puisse avoir besoin de temps sans eux. Ça peut se comprendre: ils ont 3 et 6 ans, et sont déjà assez autonomes. Objectivement, ils ne sont pas tout le temps sur mon dos, ils se gèrent pas si mal. Ils ont juste un sixième sens pour se coller à moi dans les moments où je suis sur le point d'exploser.

Je le sais bien que c'est difficile de demander à des enfants de se passer de leur mère.


Mon amoureux m'encourage à me reposer, à prendre du temps pour moi. Il prend tant d'heures par semaine pour ses besoins à lui, je devrais faire pareil. On s'arrangera. Mais dans les deux jours qui suivent la conversation, deux preuves éclatantes que dans les faits, ça n'est pas possible. Et une semaine plus tard, rebelote pour l'organisation des vacances. Il faut aller quelque part, et faire quelque chose ensemble, quand je voudrais juste pouvoir dormir toute la journée.

Lui aussi est au bout du rouleau, je le sais bien. Je le sais bien que si je m'arrête, tout lui retombe dessus. Il a besoin aussi de certaines choses, pas les mêmes que moi. Bon.


Alors moi, je veux bien, réorganiser mes routines de travail dysfonctionnelles. Arrêter de consulter mes mails au petit matin, tard le soir, le week-end. Prendre des anxiolytiques le temps que la vague passe. Retourner voir une psy moins d'un an et demi après avoir arrêté l'analyse. Faire trois-quatre dessins et deux balades pendant mes trois semaines d'arrêt.

Mais je voudrais qu'on arrête de faire semblant. De prétendre qu'il suffit que JE prenne soin de moi, et que le monde acceptera de se réorganiser autour de moi. Que je peux bosser uniquement à des horaires décents et abattre le travail attendu de moi. Que je peux dormir quand j'en ai besoin. Sortir et voir des gens quand j'en ai besoin. Être seule quand j'en ai besoin. Prendre des vacances vraiment reposantes pour moi. Ne recevoir des gens chez moi que quand je suis en état de les accueillir.

Qu'on arrête de faire comme si le temps était extensible.

Qu'on arrête de me dire de prendre soin de mon corps qui fout le camp par tous les bouts, comme s'il encaissait pas en continu depuis 12 ans le stress, la fatigue, les grossesses et fausses-couches, les déménagements. Comme si c'était juste moi qui le bichonne pas assez.

Et qu'on arrête de faire comme si c'était un problème individuel, et non pas social. Personnel, et non pas global.

"Fais du sport, ça ira mieux".

Allez vous faire voir, en fait.

jeudi 5 mai 2022

Bercail

Quatre jours chez mes parents, sans Nawimba ni les enfants.


Trajet tranquille. Une chanson dans la tête, tant d'années plus tard.

Retrouvailles.

L'odeur de la lessive de ma mère. La saveur des choses pas goûtées depuis longtemps.

Nuits hachées. Tirer sur la corde. Tirer, tirer, tirer.

Des fleurs, la végétation. Folle puis moins folle. L'explosion, les couleurs. L'odeur de menthe sur mes doigts.

Des nouvelles des oiseaux du coin et des souvenirs des amis lointains.

La création débridée des deux dernières années. Du beau. Du caché. Des boites dans des boites, des plis dans des plis. L'os dans l'ocre, l'or dans l'encre.

Beaucoup de mots.

Lui. Lui. Elle. Eux. Lui et sa toute petite aussi.

La lumière dans les peupliers. Le bruit de la chute d'eau.

Lâcher prise. Soupirer. Rire.

Épuisée. Et plus sereine que je ne l'ai été depuis des semaines, après ce retour au bercail.

mercredi 16 février 2022

Copains copines

Ça fait plusieurs fois que les jours où il est à la maison, l’Étourneau demande à aller chez sa nounou, et réclame ses trois camarades qui sont gardés là-bas avec lui. Ça me fait vraiment plaisir, parce que ça témoigne du fait qu'il se sent bien là-bas, et aussi d'un début de "socialisation amicale".

J'avais trouvé ça très joli à regarder, ces premiers copinages, quand le Moineau avait 2 ans et demi. Lui commence même un peu plus tôt, sans doute parce que c'est un deuxième enfant, et qu'il a déjà une super complicité avec sa sœur. Le fait qu'ils soient quatre chez la nounou, et qu'elle travaille beaucoup plus le côté relations entre les enfants que l'ancienne nounou doit jouer aussi.

En ce moment, il est à fond sur l'apprentissage des chansons, et on s'est rendu compte que ce n'était pas uniquement la nounou qui lui en apprenait, mais aussi... la petite M. (qui n'a pas encore deux ans, mais est très en avance pour le langage). Les apprentissages circulent non pas uniquement de l'adulte vers les enfant, mais aussi entre eux.

C'est tellement, tellement chouette.

vendredi 3 décembre 2021

Complicité

Depuis deux-trois semaines, la complicité entre le Moineau et l'Etourneau s'est énormément développée. Ils jouent plus ensemble, ils rigolent énormément, ils font les andouilles, et du coup... se liguent contre nous. Dans le bain, par exemple, ça fait plusieurs fois qu'ils se mettent à fronder ensemble pour ne pas se laver, la grande encourageant le petit à se rebeller (j'adore..).

Et donc ce soir... j'avais pris soin d'annoncer 5 minutes avant que je venais les laver. J'entre dans la salle de bain, et le Moineau se place en travers de la baignoire, abritant le ptit corps de son frère derrière elle, les bras bien écartés, en me déclarant à plusieurs reprises d'un air très vindicatif "C'est MON frère! C'est MON frère". Je confirme que c'est son frère, et au bout d'un moment elle ajoute: "Je le sauve! Je le sauve, mon frère!"

"Eh, euh, du coup... toi? c'est qui qui te sauve?"

Elle a baissé les bras à toute vitesse, s'est décalée vers l'autre bout de la baignoire, et s'est mise à crier "Tu laves Étourneau d'abord! Étourneau d'abord!"

Ouais, parce que la solidarité avec les plus faibles, ça va bien 5 minutes, hein...

mercredi 17 novembre 2021

Madame M

J'ai appris il y a quelques jours le décès de Madame M. C'était mon instit' en primaire. Du CE2 au CM2, plus exactement. Ma famille vivait dans un village en Isère pendant mon enfance, et dans la petite école du coin, il y avait deux classes, l'une à deux niveaux, l'autre à trois. Elle avait les "grands". Et elle était très importante pour moi, à l'époque, et ensuite.

Elle a été ma première "rencontre avec un·e enseignant·e". On lit parfois des témoignages de gens dont la vie d'élève ou d'étudiant·e a été changée par la rencontre avec un·e prof, un jour. C'est souvent un peu.. too much, dans le ton. Mais oui, quelque chose dans ce goût là. Une vraie bonne enseignante. Bienveillante. Exigeante. Protectrice un peu, avec la gamine douée à l'école, mais qui comprenait rien aux gens. Mais pas trop non plus, je crois. Juste ce qu'il fallait.

Une première figure de ce que c'était que de bien être prof (en tout cas la première à l'extérieur de ma famille).

On a déménagé juste avant mon entrée au collège. Je l'ai revue une ou deux fois par la suite, quand je revenais voir des copines au village. Mais surtout, on a correspondu, pendant des années. Elle écrivait, à cette gamine qui avait peine 10 ans au départ, des longues lettres, avec son écriture élégante d'instit, sur du beau papier. La première correspondance d'adulte ("avec une adulte" serait sans doute plus juste) que j'ai eue.

Et puis la relation s'est un peu étiolée, pendant mon adolescence.

Je lui ai réécrit, bien plus tard. Quand j'étais en prépa, je crois, ou peut-être même plus tard. En demandant si je pouvais la voir. Elle m'a répondu.

Et je n'ai pas compris la réponse. J'ai lu la lettre, et cru comprendre qu'elle ne voulait pas me voir, parce qu'elle voulait que je garde le souvenir que j'avais d'elle, et pas celui d'une vieille dame. Je ne sais même plus si j'ai répondu après cette dernière lettre.

Mais j'ai pensé souvent à elle. Au moment des grandes étapes. Ma soutenance de thèse. Ma prise de poste. Mes enfants.

Je suis retombée sur sa dernière lettre, il y a quelques mois. Et j'ai réalisé que j'avais mal compris. Qu'elle avait peur effectivement de mon regard sur elle âgée, mais que dans sa lettre, elle me disait qu'elle aurait bien voulu me revoir. Je me suis sentie très très bête. Et très mal. J'ai essayé de voir si elle habitait toujours au même endroit, mais apparemment non. Et puis dans le maelström de la vie, j'ai lâché l'affaire.

Et elle est morte, samedi dernier.

Je crois l'avoir beaucoup remerciée, quand j'étais enfant. Avec des mots d'enfant. Mais je regrette de ne pas lui avoir dit, en tant qu'adulte, avec mes mots d'adulte, à quel point elle a été une figure importante pour moi. Une personne importante.

C'est ni plus ni moins vrai maintenant qu'il y a une semaine, évidemment. Mais le putain de sentiment de gâchis.. (Classique, hein. J'ai pas la prétention d'être originale, sur ce coup là.).

Et le deuil, plus de 25 ans après l'avoir vue pour la dernière fois.

Pendant que je sanglotais au téléphone lundi, ma mère m'a dit que d'être devenue la prof que je suis, de la façon dont je le suis, c'était aussi une façon de dire au monde que cette dame là avait été importante pour moi. Ça n'a pas vraiment calmé la crise de larmes, sur le coup.

Mais peut-être que c'est vrai. Ptet qu'à défaut de le lui avoir dit, c'est ça, la chose à faire avec mon souvenir de madame M. Faire de mon mieux pour être, pour d'autres, ce qu'elle a été pour moi.

J'te raconte pas la pression.

mercredi 10 novembre 2021

Dessin

J'ai grandi avec une maman artiste. Quand j'étais petite, elle peignait, sculptait, modelait. Plus tard, elle a fait de la broderie, de la photo, des bijoux, a travaillé le cuir, et des dizaines d'autres trucs. Touche à tout. Avec la peinture, toujours, en toile de fond. Ça a eu quelque chose d'inhibant pour moi, mais en même temps, au passage, elle m'a appris plein de petits trucs. Et si je ne me suis pas toujours autorisée à me sentir douée, elle m'a donné quand même envie de tenter plein de trucs. Quand j'étais ado, elle organisait tous les deux-trois ans "la semaine de la création", une semaine pendant laquelle des gens de la famille et des amis étaient invités à venir tester plein de techniques tous ensemble. Elle mettait son matériel à disposition de tous, et des conseils aussi... Linogravure, argile, sculpture sur béton cellulaire, pastel, fusain, sanguines, crayon, acrylique, aquarelle. Une fois ma cousine est venue avec son tour de potier. Une autre mon frère a fait une initiation au logiciel Blender. Une année, ça a été orienté plutôt vers les arts de la scène (je l'ai ratée, j'étais au Vanuatu..).

Bref. Ma mère m'a permis de toucher à plein de choses, l'air de rien. Et en ayant l'impression de ne rien savoir faire,.. ben j'ai fait des trucs. J'ai peint un peu. Dessiné beaucoup. Eu une grosse période "pastels à l'huile", et une plus brève "pastels secs". Et puis, plus rien pendant longtemps. Il peut se passer des années sans que je prenne un pinceau ou un crayon, réellement.

Il y a quelques mois, j'ai bloqué sur une photo de mon fils, et gribouillé un portrait sur un bout de feuille de brouillon. Et la bouille du gosse est sortie vraiment bien, et j'ai eu un petit moment de satisfaction intense. Mais je n'ai pas repris.

Etourneau, avr. 2021

Et puis, depuis la rentrée, ma fille s'est mise à dessiner beaucoup. Parfois une quinzaine de dessins par jour. Et à se plaindre de ce qu'elle faisait. Alors je lui ai donné un ou deux conseils. Son oncle est passé un soir et a passé un moment avec elle aussi à lui montrer comment rectifier certains trucs. J'ai trouvé ça trop chouette de la voir d'un coup progresser.

La semaine dernière, j'ai fait un saut chez mes parents, et j'ai feuilleté mes vieux cartons à dessins. Y avait des trucs pas mal. J'ai pris quelques photos à l'arrache. Mais surtout, ça m'a donné envie de reprendre pour de vrai.

Alors à notre retour, le Moineau et moi, on s'est installées ensemble pour dessiner. On a décidé de dessiner les mêmes choses. Un petit moulin en faïence que j'ai dans mon bureau. Et une façade d'immeuble inventée. Les siens étaient tous dynamiques, avec plein de détails. Et aujourd'hui, elle a dessiné des super-héroïnes avec son père. J'ai regardé ses dessins, et d'un coup je me suis dit: "Mais là, en fait, on sort de cette période où on la regardait passer tranquillement les différentes étapes du développement enfantin, les types de bonshommes, tout ça. On arrive au moment où ma fille développe un truc à elle. Où elle se fait la main et l’œil. Où ses dessins me rendent heureuse, pas parce que c'est des dessins de grande, mais parce qu'elle prend sa façon à elle de dessiner."

Supergirl, par le Moineau, nov. 2021

Et en arrière-plan, cette émotion un peu floue, mais assez intense en fait, en pensant que je pourrais, peut-être, si elle a envie, lui transmettre des choses dans ce domaine. Ça a l'air de rien, ça, hein. Mais en fait, c'est énorme. Et ça me prend complètement par surprise. Et c'est trop bien.

vendredi 5 novembre 2021

Texture

Hier après-midi, sieste avec Nawimba.

Il s'endort une main sur mon flanc, et je commence à sombrer lentement..

Je sens tout à coup sa main se resserrer convulsivement sur moi. Je fais un bond de cabri et gueule, indignée: "HÉ!"

Il me répond, penaud "Oh pardon, j'ai cru que c'était une éponge."


Ah ben oui, fatalement...

J'ai eu vaguement conscience que j'aurais dû m'offusquer, mais c'était tellement drôle...

Bon, au cas où certain·e·s d'entre vous se demandaient quelle était la texture exacte de mon gras sur les côtés.. Je pense que maintenant vous êtes fixé·e·s :)

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