samedi 21 janvier 2023

Lectrice

Le Moineau a commencé à apprendre à lire vers 3 ans. Un pied sur l'accélérateur et un pied sur le frein pendant des années, sans doute parce qu'il était trop évident qu'on la guettait. Lire, c'est IMPORTANT. Un peu trop, quoi.

Mais l'entrée en CP a débloqué ça. La lecture, ce n'est plus "faire plaisir à Papa-Maman, mais pas trop, mais un peu quand même.". Ce n'est plus juste : lire les lettre et les syllabes et les mots. D'un coup, vers la fin novembre, elle a basculé dedans. Ça a fait un grand PLOUF. Dans la mer des histoires, des informations à chercher toute seule, du lien qui se fait entre les choses. Sans nous. T'as déjà vu un moineau qui prend son bain avec délectation? Ben mon Moineau, qui s'ébat dans le grand bain des livres, pareil.

Dans tous les canapés et fauteuils de la maison, dans son lit enfouie sous la couette, allongée sur le tapis dans la salle de jeu, ou dans le petit coin lecture avec les pieds posés sur la bibliothèque. Un bouquin rapporté de l'école chaque jour. Plusieurs dévorés chaque jour passé à la maison. Elle commence même à préférer lire seule le soir plutôt que de nous écouter lui lire une histoire. Et elle fait maintenant seule la partie "lecture" de ses devoirs.

"Maman, apparemment, le soleil n'en est même pas à la moitié de sa vie!"

"Maman tu sais, j'ai lu mon livre dans mon lit, et je me suis endormie, et après je me suis réveillée, et j'ai fini de lire le livre."

"Maman, je peux avoir un livre sur les champignons?"

La joie de la voir découvrir chaque micro-plaisir associé à la lecture. Le bonheur de se dire que ça ne fait que commencer pour elle. Ça fait partie des choses qui éclairent cette période tristoune.

vendredi 20 janvier 2023

1986-1987 : Chambardements

Je fête mes trois ans début juin. Pour m’acclimater à l’école, j’y vais pendant un mois, avant les grandes vacances. Je n’ai qu’un seul souvenir de ma première institutrice et il est inquiétant. Une dame imposante et légèrement menaçante se découpe à contre-jour dans un couloir un peu sombre (derrière elle, la lumière du jour, en provenance de la salle de motricité). Elle a des cheveux roux, courts et bouclés.

L'été arrive. Je vis apparemment mal la toute fin de la grossesse de ma mère, et demande à aller passer chez mes grands-parents le temps qui reste avant l’arrivée du bébé, ce qui ravit ma grand-mère.

Je n’ai aucun souvenir de la naissance de Y. début août, et en fait, aucun non plus de ses premiers mois. Une photo le montre tout petit dans les bras de mon grand-père, mon père et moi à leurs côtés. J'ai un air dubitatif, voire légèrement dégoûté.

En septembre, j’entre pour de bon en maternelle. La première de mes vingt-quatre années de scolarité !

mercredi 17 novembre 2021

Madame M

J'ai appris il y a quelques jours le décès de Madame M. C'était mon instit' en primaire. Du CE2 au CM2, plus exactement. Ma famille vivait dans un village en Isère pendant mon enfance, et dans la petite école du coin, il y avait deux classes, l'une à deux niveaux, l'autre à trois. Elle avait les "grands". Et elle était très importante pour moi, à l'époque, et ensuite.

Elle a été ma première "rencontre avec un·e enseignant·e". On lit parfois des témoignages de gens dont la vie d'élève ou d'étudiant·e a été changée par la rencontre avec un·e prof, un jour. C'est souvent un peu.. too much, dans le ton. Mais oui, quelque chose dans ce goût là. Une vraie bonne enseignante. Bienveillante. Exigeante. Protectrice un peu, avec la gamine douée à l'école, mais qui comprenait rien aux gens. Mais pas trop non plus, je crois. Juste ce qu'il fallait.

Une première figure de ce que c'était que de bien être prof (en tout cas la première à l'extérieur de ma famille).

On a déménagé juste avant mon entrée au collège. Je l'ai revue une ou deux fois par la suite, quand je revenais voir des copines au village. Mais surtout, on a correspondu, pendant des années. Elle écrivait, à cette gamine qui avait peine 10 ans au départ, des longues lettres, avec son écriture élégante d'instit, sur du beau papier. La première correspondance d'adulte ("avec une adulte" serait sans doute plus juste) que j'ai eue.

Et puis la relation s'est un peu étiolée, pendant mon adolescence.

Je lui ai réécrit, bien plus tard. Quand j'étais en prépa, je crois, ou peut-être même plus tard. En demandant si je pouvais la voir. Elle m'a répondu.

Et je n'ai pas compris la réponse. J'ai lu la lettre, et cru comprendre qu'elle ne voulait pas me voir, parce qu'elle voulait que je garde le souvenir que j'avais d'elle, et pas celui d'une vieille dame. Je ne sais même plus si j'ai répondu après cette dernière lettre.

Mais j'ai pensé souvent à elle. Au moment des grandes étapes. Ma soutenance de thèse. Ma prise de poste. Mes enfants.

Je suis retombée sur sa dernière lettre, il y a quelques mois. Et j'ai réalisé que j'avais mal compris. Qu'elle avait peur effectivement de mon regard sur elle âgée, mais que dans sa lettre, elle me disait qu'elle aurait bien voulu me revoir. Je me suis sentie très très bête. Et très mal. J'ai essayé de voir si elle habitait toujours au même endroit, mais apparemment non. Et puis dans le maelström de la vie, j'ai lâché l'affaire.

Et elle est morte, samedi dernier.

Je crois l'avoir beaucoup remerciée, quand j'étais enfant. Avec des mots d'enfant. Mais je regrette de ne pas lui avoir dit, en tant qu'adulte, avec mes mots d'adulte, à quel point elle a été une figure importante pour moi. Une personne importante.

C'est ni plus ni moins vrai maintenant qu'il y a une semaine, évidemment. Mais le putain de sentiment de gâchis.. (Classique, hein. J'ai pas la prétention d'être originale, sur ce coup là.).

Et le deuil, plus de 25 ans après l'avoir vue pour la dernière fois.

Pendant que je sanglotais au téléphone lundi, ma mère m'a dit que d'être devenue la prof que je suis, de la façon dont je le suis, c'était aussi une façon de dire au monde que cette dame là avait été importante pour moi. Ça n'a pas vraiment calmé la crise de larmes, sur le coup.

Mais peut-être que c'est vrai. Ptet qu'à défaut de le lui avoir dit, c'est ça, la chose à faire avec mon souvenir de madame M. Faire de mon mieux pour être, pour d'autres, ce qu'elle a été pour moi.

J'te raconte pas la pression.

samedi 2 mai 2020

Ira, ira pas?

Notre ville fait partie de celles concernées par cet article, qui indique que huit maires de Seine-Saint-Denis refusent de rouvrir les écoles maternelles et les crèches avant septembre. J'avoue qu'en l'apprenant, nous avons été plutôt soulagés, de ne pas avoir à décider si nous devions ou non renvoyer le Moineau à l'école dans quelques jours. Comme je l'écrivais sur Mastodon:

Spontanément j'aurais dit "non, c'est trop tôt". MAIS si je trouve qu'elle va trop mal à ce moment là, qu'elle a besoin de voir des gens, je pencherai sans doute plus vers le "oui". MAIS en même temps, j'estime qu'en Seine-Saint-Denis, on est vraiment pas prioritaires par rapport aux gens qui ont besoin de bosser pour pouvoir bouffer, ou aux gens qui virent dingues avec leurs mômes en appartement (on a un jardin, et je ne reprendrai pas les cours avant septembre). Donc ptet que je la garderai quand même au final. Je sais pas.

Pas de décision à prendre, donc. Et puis le soulagement aussi de pouvoir un peu plus se projeter dans la durée (je ne sais pas encore si Nawimba reprendra les cours, et si oui comment, et donc si je resterai à la maison seule avec les enfants ou non. Mais je sais au moins que les enfants sont chez nous, tous les deux, pour les 4 mois à venir (sauf renversement magistral de situation, pour la grande).

Cela dit, la maîtresse a demandé aujourd'hui sur le groupe whatsapp de la classe quels enfants reviendraient à l'école la semaine du 18. Apparemment, tant que la réponse du préfet n'est pas arrivée, ils font comme si les écoles allaient rouvrir. Sauf que bien sûr, ça va vouloir dire: masques pour la maîtresse et idéalement pour les petits (quand je dis "idéalement"... oui, bon, on se comprend, hein). Pas de contacts entre les enfants. Pas de temps de regroupement sur les bancs. Pas de jeux ensemble à la récré, pas de vélos, pas de toboggan. Des tables espacées dans la classe. Pas de coins "jeux" (sinon il faudrait tout pouvoir désinfecter tout le temps). Pas de cantine, je suppose. C'est au mieux irréalisable, et au pire, de la maltraitance psychologique. Ou l'inverse. (Je comprends bien qu'on ne puisse pas faire autrement et qu'il n'y a pas de bonnes solutions, hein. Juste, c'est nul.)

Donc voilà, même si l'école rouvre, elle n'ira pas. Pas dans ces conditions là. D'ailleurs le reste des parents est sur la même longueur d'onde. Très peu ont répondu que leurs enfants viendraient, pour l'instant. Je précise qu'évidemment, ce n'est pas toujours une question de choix: certaines personnes ne pourront pas faire autrement que de remettre leurs enfants à l'école. Mais pour nous, le seul avantage à l'y renvoyer était la sociabilisation. Si elle ne peut pas jouer, toucher, être proche de ses camarades... le jeu n'en vaut pas la chandelle.

Du coup on cherche des options. Peut-être va-t-on réessayer de proposer des appels en visio, même si les gamins de 4 ans ne sont pas très à l'aise avec cet outil... Peut-être, une fois que le confinement sera levé ou un peu adouci, pourra-t-on proposer à l'un ou l'autre des copains-copines du Moineau de venir faire des balades, dans la rue, en essayant que les gamins ne se touche pas trop trop, etc. Et puis une autre idée qui se fait jour depuis quelques jours, et qui a pris corps aujourd'hui. L'appartement à côté de notre rez-de-chaussée est occupé par une famille avec une petite fille, qui doit avoir un an de moins que le Moineau. On ne les connaît pas bien, notamment parce qu'ils ne parlent quasiment qu'espagnol (ils sont colombiens, il s'agit de la famille du frère d'un de nos voisins co-propriétaires, qu'on connait beaucoup mieux, pour le coup. Il les héberge chez lui depuis quelques mois, et loge chez sa copine, qui possède un autre studio dans la copropriété). On les entend, bien sûr, depuis qu'ils sont là, mais à part bonjour-bonsoir quand on se croisait dans la rue, on n'avait jamais vraiment entamé la discussion. Mais depuis quelques jours, la maman et la petite fille ont un rituel rigolo. Elles mettent un grand escabeau dans la cour pendant un quart d'heure en début de soirée, et se perchent ensemble sur la plus haute marche, pour regarder la rue. Et du coup, de chez nous, on voit leurs têtes dépasser au dessus de la barrière. Evidemment, ça a attiré l'attention du Moineau, qui s'est mise à avoir envie de les regarder sous différents angles (par les différentes fenêtres du rez de chaussée et du premier étage (la fenêtre de notre chambre surplombe leur cour..). J'ai essayé de freiner un peu en mode "c'est pas poli de regarder chez les gens", mais en fait, la curiosité du Moineau a fini par déclencher celle de l'autre petite fille, et ça a fait un peu boule de neige.

Du coup, quand j'ai croisé le regard de la dame tout à l'heure, j'ai fait coucou, et puis je suis sortie sur le pas de la porte avec ma fille, et on s'est toutes présentées. Et puis j'ai proposé que d'ici quelques jours, quand le déconfinement commencerait, la petite fille vienne jouer dans le jardin avec le Moineau. Ca me démangeait depuis quelques jours de leur proposer de profiter du jardin, mais je ne voyais pas trop comment garder ma fille dans la maison pendant que l'autre petite jouait. Le mieux est probablement qu'elles jouent quand même ensemble, et advienne que pourra. La maman m'a expliqué que sa petite avait repéré la maison en plastique du Moineau, et qu'elle avait très envie de venir dedans. J'ai aussi proposé de leur prêter une trottinette (mais elle en a déjà une). Donc d'ici dix jours, on devrait pouvoir mettre ça en route. Le truc marrant, c'est évidemment que C. ne parle qu'espagnol (et la maman ne parle pas bien français non plus). Ce soir, j'ai fait à peu près la traduction (je comprends à peu près, mais je ne suis pas du tout capable de parler plus que deux trois bribes, non plus), et le Moineau était un peu frustrée de ne pas comprendre.

Mais bon, on se refait pas, hein: j'ai proposé au Moineau de profiter des 10 jours qui viennent pour apprendre un peu d'espagnol. Je vais chercher une appli ou un site pour enfants, et hop. En plus, elle commençait à se plaindre un peu du "travail d'école". On va intégrer ça dans la palette des choses à faire "pour le travail", ça va passer comme une lettre à la poste. Tout à l'heure, pendant que je changeais le bébé, j'entendais Nawimba lui apprendre à dire en espagnol "tu veux aller aux toilettes?". Ce soir, elle était déjà en train d'imaginer: "Avec C., on pourra lire des livres! et on pourra faire des piques niques dans le jardin!" Ca va être marrant, je pense.

Et ça me rassure un peu, de me dire que ces deux petites filles auront au moins un peu de compagnie enfantine de temps en temps, plutôt que d'être toutes seules chacune dans son coin, à tourner en rond dans sa maison entre ses parents. C'est un bon compromis, je pense. Il faut que le virus circule, mais ce sera relativement limité, et moins stressant que l'ambiance "distanciation sociale de psychopathe" à l'école. Ca me réconforte beaucoup, cette perspective...

dimanche 5 avril 2020

Mesdames, Messieurs

Il y a environ un an, on était allés à la FN*C pour je ne sais quelle raison, et on avait passé un moment au rayon des bouquins pour enfants à chercher, je crois, le Prince de Motordu, pour le Moineau. Une vendeuse, qui nous avait aidés à le localiser, avait trouvé le Moineau plutôt mignonne, et lui avait donné une grande affiche des "Monsieur Madame" (oui, encore eux), avec tous les personnages listés dessus. La petite ne connaissait pas encore, et je ne voyais pas où mettre cette affiche, alors je l'avais mise de côté (en pestant contre les cadeaux publicitaires, et mon incapacité à balancer les trucs qui viennent immanquablement encombrer ma maison).

Je l'ai ressortie il y a quelques jours, car le Moineau a entre temps découvert les Monsieur Madame, et adore se les faire lire, se les re-raconter ensuite, et gloser à l'infini sur ce qui y arrive. J'ai punaisé l'affiche dans sa chambre, et depuis, elle passe beaucoup de temps à les inventorier, à comparer les listes présentes au dos des livres et celle de l'affiche etc.. Ce qui est cool, c'est que c'est un super support pédagogique! Régulièrement dans la journée, je l'envoie compter les personnages de telle ou telle couleur, de telle ou telle forme. Ou bien identifier tel personnage en fonction de sa description. Ça marche super bien!

Hier, je lui ai dit qu'il y avait 100 messieurs et mesdames dessus. Elle a essayé de les compter, mais elle a eu du mal une fois arrivée vers les 27, 28.. Elle a compris le principe, mais pas encore mémorisé les noms des dizaines, et donc au bout d'un moment, elle bute et commence à compter en boucle. Donc là, elle faisait ça. Et puis elle est restée songeuse un moment devant son affiche, s'est tournée vers moi et m'a dit: Y a pas de liste pour les chiffres.. C'est nul, faudrait une liste pour les chiffres

Du coup, tout à l'heure, je lui ai fait une grande affiche, avec les nombres de 1 à 100. Et on l'accrochera demain à côté de celle des Monsieur Madame. J'ai parié il y a deux semaines qu'elle saurait lire à la fin du confinement. Mais finalement, ptet qu'elle saura compter, à la place :) (Et de fait, compter sans erreur au delà de 10, ça fait peu de temps, c'est lié au fait de devoir se laver les mains pendant au moins 15 secondes...).