Réamorcer le plaisir. Pour essayer de lutter contre la frustration, contre l'anxiété, contre la colère. S'obliger à faire des choses pour soi, des choix pour soi, et rien qu'à soi. En parallèle des stratégies pour reprendre contrôle sur le boulot dévorant, pour retrouver du doux avec les enfants, en parallèle de la thérapie, aussi, qui est pour moi, mais qui n'est pas que du plaisir.
Le plaisir, comme une grosse boîte posée au milieu de mes pensées, avec plein de tiroirs que j'ai un peu oubliés depuis longtemps, un peu grippés parfois, ou qui contiennent des trucs un peu risqués aussi, peut-être. J'ai tourné autour de la boîte pendant un moment. Un peu perplexe, un peu défiante, pas très courageuse.
Finalement, j'ai tiré sur différentes poignées. Pour voir ce qui acceptait de s'ouvrir.
Le dessin est la seule chose que j'ai réussi à faire pendant mon arrêt. Alors j'ai continué à dessiner, notamment sur la belle tablette graphique offerte par Nawimba. Et puis ma mère m'a acheté du matériel pendant les vacances de Noël. Elle me tirait du côté de la peinture, et je résistais, parce que, j'aime pas, j'ai besoin d'un contact plus tactile et direct avec le papier, un truc qui gratte et qui résiste sous les doigts, pas un truc qui glisse. Quelque chose que je peux maîtriser, corriger, contrôler. Au milieu du reste, elle m'a quand même offert deux pinceaux à réservoir et un bloc de papier "multi-techniques liquides". J'ai rouspété pour la forme, mais accepté. Et deux semaines plus tard, je suis tombée dans l'aquarelle. Je n'avais pas peint depuis... dix ans, peut-être? Et bon, oui, d'accord. Le plaisir dans les couleurs, et même, oui, dans l'obligation de lâcher un peu prise. L'impression de ne rien y comprendre au début, mais une espèce d'obsession, des fleurs qui s'impriment sous mes paupières le soir quand je les ferme. Alors j'essaye de peindre au moins un peu chaque week-end. Au moins chaque semaine.
La musique un peu, aussi, là aussi grâce à un cadeau de mes parents à Noël. Un beau kalimba. Le plaisir des notes cristallines. Le plaisir de retrouver des mélodies à l'oreille. De gratouiller tout doucement des séries de notes sans besoin d'aller forcément quelque part avec..
Un autre tiroir que j'ai rouvert il y a dix ou quinze jours est celui de la lecture. Depuis mes cinq ans, je n'avais jamais aussi peu lu qu'en 2022. J'ai arrêté en février, je crois, et à peu près plus rien lu jusqu'à ces derniers jours, sauf la première partie du roman qu'un ami était en train d'écrire, en fin d'année. Sans réussir à lire les parties suivantes. Bloquée, bloquée, bloquée. La fiction qui avait toujours été une des options pour m'évader de moi-même était devenu très angoissante. Une échappatoire de moins, à un moment où j'en aurais vraiment eu besoin.
Mais ça va mieux, alors: j'ai repris un livre, puis deux, puis trois. Et repris le roman de mon ami, aussi.
Un autre tiroir va s'ouvrir bientôt avec l'arrivée du printemps. L'avidité à regarder les fleurs, les oiseaux dans le jardin, les insectes dans l'herbe. Le soleil chaud dans le dos ou éblouissant dans les yeux. Ça a l'air con et mièvre, dit comme ça, mais ça me remet d'équerre chaque année. Les couleurs, la lumière. Les photos de ciel. Les doigts dans la terre.
Le tiroir suivant était fermé depuis 8 ans. Je planifie une mission de terrain. Si ma demande de financement est acceptée, je vais retrouver le Vanuatu cet été. Brièvement, mais... je retourne au Vanuatu. Les larmes aux yeux rien que d'y penser, alors même que ça ne me manquait pas consciemment. J'irai peut-être même à Maewo. "Pour aller retrouver ma source", comme disait Anne Sylvestre (oui, encore elle).
C'est pas si mal, en quelques semaines.