mardi 7 février 2023

Plaisir

Réamorcer le plaisir. Pour essayer de lutter contre la frustration, contre l'anxiété, contre la colère. S'obliger à faire des choses pour soi, des choix pour soi, et rien qu'à soi. En parallèle des stratégies pour reprendre contrôle sur le boulot dévorant, pour retrouver du doux avec les enfants, en parallèle de la thérapie, aussi, qui est pour moi, mais qui n'est pas que du plaisir.

Le plaisir, comme une grosse boîte posée au milieu de mes pensées, avec plein de tiroirs que j'ai un peu oubliés depuis longtemps, un peu grippés parfois, ou qui contiennent des trucs un peu risqués aussi, peut-être. J'ai tourné autour de la boîte pendant un moment. Un peu perplexe, un peu défiante, pas très courageuse.

Finalement, j'ai tiré sur différentes poignées. Pour voir ce qui acceptait de s'ouvrir.

Le dessin est la seule chose que j'ai réussi à faire pendant mon arrêt. Alors j'ai continué à dessiner, notamment sur la belle tablette graphique offerte par Nawimba. Et puis ma mère m'a acheté du matériel pendant les vacances de Noël. Elle me tirait du côté de la peinture, et je résistais, parce que, j'aime pas, j'ai besoin d'un contact plus tactile et direct avec le papier, un truc qui gratte et qui résiste sous les doigts, pas un truc qui glisse. Quelque chose que je peux maîtriser, corriger, contrôler. Au milieu du reste, elle m'a quand même offert deux pinceaux à réservoir et un bloc de papier "multi-techniques liquides". J'ai rouspété pour la forme, mais accepté. Et deux semaines plus tard, je suis tombée dans l'aquarelle. Je n'avais pas peint depuis... dix ans, peut-être? Et bon, oui, d'accord. Le plaisir dans les couleurs, et même, oui, dans l'obligation de lâcher un peu prise. L'impression de ne rien y comprendre au début, mais une espèce d'obsession, des fleurs qui s'impriment sous mes paupières le soir quand je les ferme. Alors j'essaye de peindre au moins un peu chaque week-end. Au moins chaque semaine.

La musique un peu, aussi, là aussi grâce à un cadeau de mes parents à Noël. Un beau kalimba. Le plaisir des notes cristallines. Le plaisir de retrouver des mélodies à l'oreille. De gratouiller tout doucement des séries de notes sans besoin d'aller forcément quelque part avec..

Un autre tiroir que j'ai rouvert il y a dix ou quinze jours est celui de la lecture. Depuis mes cinq ans, je n'avais jamais aussi peu lu qu'en 2022. J'ai arrêté en février, je crois, et à peu près plus rien lu jusqu'à ces derniers jours, sauf la première partie du roman qu'un ami était en train d'écrire, en fin d'année. Sans réussir à lire les parties suivantes. Bloquée, bloquée, bloquée. La fiction qui avait toujours été une des options pour m'évader de moi-même était devenu très angoissante. Une échappatoire de moins, à un moment où j'en aurais vraiment eu besoin.
Mais ça va mieux, alors: j'ai repris un livre, puis deux, puis trois. Et repris le roman de mon ami, aussi.

Un autre tiroir va s'ouvrir bientôt avec l'arrivée du printemps. L'avidité à regarder les fleurs, les oiseaux dans le jardin, les insectes dans l'herbe. Le soleil chaud dans le dos ou éblouissant dans les yeux. Ça a l'air con et mièvre, dit comme ça, mais ça me remet d'équerre chaque année. Les couleurs, la lumière. Les photos de ciel. Les doigts dans la terre.

Le tiroir suivant était fermé depuis 8 ans. Je planifie une mission de terrain. Si ma demande de financement est acceptée, je vais retrouver le Vanuatu cet été. Brièvement, mais... je retourne au Vanuatu. Les larmes aux yeux rien que d'y penser, alors même que ça ne me manquait pas consciemment. J'irai peut-être même à Maewo. "Pour aller retrouver ma source", comme disait Anne Sylvestre (oui, encore elle).

C'est pas si mal, en quelques semaines.

dimanche 29 janvier 2023

À tous vents

On me dit parfois que je suis opaque, difficile à lire. J'ai pourtant, moi, l'impression d'être ouverte à tous vents. Mes émotions qui suintent ou débordent. Ma porosité à celle des autres aussi, ou leurs idées. Il m'est souvent difficile de savoir où je commence, où je m'arrête, si ce que je pense est à moi ou non. Difficile de me confronter à l'opinion de quelqu'un d'autre sans que la mienne s'effrite. De privilégier mes besoins, parce que tu sais, mais, ceux des autres, là.

L'histoire de l'opacité, cependant, ne sort pas de nulle part. J'ai aussi beaucoup protégé ce qui pouvait, ce qui devait l'être. Mes mouvements de dépression, notamment, et mes mouvements d'avidité. La colère, aussi, jusqu'à il y a peu. Pour résumer, les choses trop honteuses et trop précieuses et trop sales et trop essentielles et trop dangereuses et trop fragiles pour être confiées à n'importe qui.

J'oscille depuis toujours entre la tentation de la fusion et celle de l'autarcie. Et je sais, depuis longtemps, qu'il ne m'est pas simple d'entretenir des relations amicales ou amoureuses équilibrées et approfondies, parce qu'aucune de ces deux positions ne le permet. Je me raconte assez facilement, pourtant. Beaucoup d'histoires, de faits, de récits. Mais avec beaucoup de gens, j'ai l'impression de retenir un truc indéfinissable, qui serait "moi", plus que la collection de récits qui me décrivent... Pour faire diversion, ou pour disparaître partiellement, ou parce que ça me donne l'illusion d'être essentielle pour l'autre, j'ouvre en grand. Les oreilles, le cerveau, l'empathie. J'abolis mon enveloppe déjà trop perméable, avec une espèce de jeu de miroirs, qui invite à se déverser en moi, tout en refusant ce "vrai moi" à la personne en face de moi.

Et parfois, elle a effectivement ce besoin-là. Et me remplit d'elle-même. De son mal-être, en général, faut pas se leurrer. Pour moi, ça fait un truc pulsionnel; excitant, très addictif, aussi. Disparaître, ensevelie sous l'autre, son psychisme. Et en même temps, je peux être un peu brutale, dans ce moment de fusion. Rentrer dans la personne en face.
Je finis de temps en temps par mal supporter cette asymétrie, d'ailleurs, et par me sentir amère de ne pas être écoutée, qu'on ne soit pas là pour moi. De ne pas avoir de réceptacle dans lequel verser mes propres trop-pleins. Mais je sais que ce n'est pas facile, de m'entendre, une fois que cette configuration s'est installée. Et c'est compliqué d'en sortir, autrement que par une rupture ou un abandon.
C'est encore plus compliqué (et rare dans mon histoire, heureusement), quand je me perds dans mon propre labyrinthe et m'immerge complètement dans le fusionnel, sans plus rien protéger, ni maîtriser.

Par chance, souvent, la personne en face est autant sur ses gardes que moi. On reste alors en surface, et c'est plus confortable, d'une certaine façon. Plus facile, plus léger. J'ai eu des périodes où je n'avais que des relations de copinage de ce type. Mais si je me heurte à une crise, je suis seule.

Quelquefois, aussi, l'autre est un peu plus fin·e que moi, ou un peu plus solide, ou un peu plus serein·e. Refuse de s'engouffrer dans les ouvertures béantes et invitantes, et attend patiemment que s'ouvrent les petites fenêtres plus discrètes. Ce qu'il y a derrière est peut-être moins séduisant, mais moins fou, moins violent, et plus vrai. Ou plus "moi", disons. Avec mes besoins réels, mes frontières, que ce type de relations fait réapparaître.
Des gens qui me consolident, en somme. Qui rendent plus claires les limites entre dedans et dehors. Qui m'autorisent à les rencontrer autrement que sur le mode du déferlement.

C'est pas très juste d'exiger ça, mais: gens solides qui ne perdez pas des bouts de vous-mêmes à chaque mouvement, étayez-nous.

dimanche 24 octobre 2021

Les gens

Dans le corpus d'idées moches ou pas fun, et en tout cas fausses, que je me suis longtemps trimballées à propos de moi-même, il y avait notamment "j'aime pas les gens".

Je disais il y a quelques jours à l'un d'entre vous que, la plupart de mes relations amicales étant entretenues par le biais d'internet, je n'avais pas tant souffert que ça, socialement, des deux dernières années. Certaines de mes connaissances ont failli crever de solitude, je le sais. Et ce n'était pas mon cas.

Cela dit, je dois bien reconnaître ces derniers temps, à plein d'indices, et notamment à mon avidité à l'idée de rencontrer IRL des gens connus sur les réseaux sociaux, que ça m'a manqué.

Les gens.

lundi 18 octobre 2021

Visage, corps et âme

Envie d'écrire un truc sur mon corps ce soir.

Dans le cadre d'un projet de vulgarisation scientifique avec des enfants, on m'a demandé une photo de profil à mettre sur la page web, pour faire la comm' du projet. J'avais rien de récent sous la main, donc j'ai tenté à quelques reprises de prendre des photos de ma tête, avec des résultats pas toujours ravissants (comprendre: j'étais pas ravie de les voir).

Parce que je constate à quel point mon visage est fatigué. Depuis deux ans, je crois. Ou cinq. Ou 10, je ne sais pas. Un truc pas simple est de constater le vieillissement de mes traits. Pas tant parce que ça signifie que je vieillis. Je suis assez à l'aise avec cette idée, et je ne me trouvais souvent pas très jolie jeune non plus, de toute façon, y a rien de perdu de ce côté là. J'ai le visage d'une femme de mon âge, rien de tragique là dedans.

Ce qui est dérangeant, en revanche, c'est qu'il a pas mal changé en peu de temps. Et que j'ai parfois du mal à le reconnaître. J'ai vécu longtemps avec l'idée que je n'avais pas changé de tête depuis l'enfance, que quelqu'un m'ayant vue à 4 ans pouvait encore me reconnaître à 30. Je ne suis pas sûre que c'est encore vrai.

J'ai eu un moment comme ça, il y a quelques années, lorsque j'ai perdu 10 kilos en quelques mois, sans le vouloir du tout. C'était désespérant, pour moi, de perdre ce poids, alors que la seule chose que je souhaitais, c'était en prendre. Mon corps ne parvenait pas à conserver une grossesse plus de quelques semaines, et moi je fondais. Et j'ai vraiment eu une période un peu compliquée. Moi qui m'étais toujours vécue trop ronde, je trouvais insupportables ces creux dans mes clavicules et au niveau de mes genoux. Ou.. peut-être pas insupportables, mais irrémédiablement étrangers. Séparée de mon corps par cette incapacité à rester enceinte.

Quelqu'un m'a proposé de poser nue pour des photos à ce moment là, et j'ai oscillé, entre l'idée que ça me permettrait peut-être de me recomposer une image de mon corps, et l'impression que je ne pourrais rien donner de "vrai", tellement j'étais en guerre avec lui.

Et puis j'ai fini par l'avoir, mon deuxième bébé. Une grossesse un peu rude, beaucoup moins confortable que la première menée à terme. Trois derniers jours de contractions, interminables et douloureux. Et un accouchement qui est arrivé pour moi comme une réconciliation, avec mon bébé bastonneur et frondeur, et avec mon corps aussi, qui pour le coup, a fait ce que j'attendais de lui à la perfection.

La crise sanitaire est arrivée très vite après, dure pour tout le monde, physiquement, et psychologiquement. Mon fils vient d'avoir deux ans, et ça me paraît surréaliste.

Et donc là, d'un coup, je regarde mon visage sur l'écran, et il est le témoin parfaitement fidèle de ces dernières années, je crois. Marqué à la mesure de ce que j'ai encaissé. Et en même temps, ça me demande quand même un réajustement, parce qu'il n'est plus conforme à l'image de moi que je trimballais dans ma tête. Je le vois tous les jours dans le miroir, mais j'ai d'un coup l'impression de le (re)découvrir.

Alors même que j'ai complètement réintégré mon corps, pourtant lui aussi assez différent de ce qu'il était avant mes grossesses. J'imagine qu'il y a encore un palier, et qu'une fois qu'il sera passé, je serai repartie pour quelques années à connaître ma tête.

Mais en attendant, c'est qui cette dame, sur l'écran?