vendredi 2 février 2024

2 février - Aujourd'hui toujours par deux

Les déguisements, les compotes à boire, les livres, les bonbons, les brosses à dents, les écharpes faites par Mina, les bols décorés, les gourdes, les casques de vélo, les baumes à lèvres décorés de héros de dessins animés achetés à prix d'or à la pharmacie, et j'en passe...

C'est toujours par deux.
Pas de jaloux.

Aujourd'hui, la complicité, les photos avec Toko la mascotte de l'école, les dessins, les disputes, la course nocturne dans la cour sombre de l'école entre les œuvres éclairées qu'on venait admirer, les andouilleries pendant que Papa essaye de se concentrer, c'était à deux, aussi.

Beaucoup de réminiscences de ma propre fratrie, en regardant ces deux-là cheminer ensemble.

Listes des choses pour lesquelles je suis reconnaissante envers mes beaux-parents

  • leur aide quand le Moineau était petite;
  • certaines fulgurances de mon beau-père, dont celle, fameuse, sur la fête foraine de l'angoisse;
  • leur fils aîné;
  • le fait que mon beau-père ait réussi à permettre à ses fils de s'autoriser à être et à faire ce qu'ils voulaient dans la vie, alors qu'il n'a pas vraiment eu cette possibilité lui-même;
  • la façon dont ils gèrent l'intendance quand ils sont chez moi, même si parfois je me sens un peu brutalisée au passage;
  • l'adoration sans faille de ma belle-mère pour mes enfants, qui, à ses yeux, sont en tous points merveilleux;
  • l'introduction de l'après-shampoing démêlant dans la vie de ma fille;
  • l'accueil qu'ils m'ont fait dans leur famille, même si je ne rentre pas tout à fait dans les cases qu'ils avaient imaginées, je crois.

jeudi 1 février 2024

1er février - Aujourd'hui coup

Coup de vieux: j'ai les cheveux de plus en plus gris, et l'air très fatigué.

Coup de pied au cul: Nawimba peut s'occuper des enfants ce matin. Allez, je pars plus tôt, j'aurai de la marge en arrivant au boulot, ce sera bien.

Coup de gueule: deux photocopieuses sur trois en panne le matin, des ordis installés en décembre, bidouillés par un gars du service informatique pendant toute la journée lundi, qu'on arrive pas à redémarrer: je voudrais pouvoir bosser avec du matos qui marche.

Coup de pression: l'ancienne présidente de mon établissement me voit dans l'équipe de direction d'ici 4-5 ans et me tresse des couronnes de fleurs. C'est à la fois très valorisant et terrorisant.

Coup de stress: je réalise qu'une collègue qui doit s'occuper d'un truc important pour mon département n'a pas été mise au courant (ni par moi, ni par le service concerné),et que ça commence à urger. Je la choppe dans un couloir, elle n'est pas ravie, mais on se quitte quand même en souriant, j'espère que ça va aller.

Coup de pouce: les intervalles entre les cours, une partie des mails sont passés à aider des collègues. Parfois, mais c'est plus rare, c'est les autres qui m'aident.

Coup de boost: mes étudiants sont merveilleux, les cours me donnent de l'énergie. Ca me rappelle que j'aime mon boulot, c'est chouette.

Coup de mou: la retombée après les cours, quand même, est rude.

Coup de blues: la séance psy est, comme toujours, très intéressante, mais ça brasse.

Coup de cœur: ma fille a appris à faire des petites danseuses en papier d'aluminium pour un projet à l'école, elle m'accueille avec une de ses créations dans les mains quand je rentre. C'est vraiment très joli.

dimanche 28 janvier 2024

28 janvier - Aujourd'hui bu

Mon principal objectif aujourd'hui aura été de réduire mes maux de crane et de dos.

4 thés, une tisane, beaucoup de flotte, une sieste, deux doliprane, un ibuprofène, une douche et une bouillotte plus tard, ça va plutôt mieux.

Tant mieux, parce que mon mec est parti passer l'agrèg, et je suis seule avec mes ptits pioupious pendant deux jours. Entre ça, la reprise des cours, la convocation pour une enquête administrative que je crains un peu, et les possibles problèmes de transports du fait du blocage de Paris par des agriculteurs en colère, le début de semaine ne sera pas de tout repos.

Quand faut y aller, faut y aller...

samedi 27 janvier 2024

27 janvier - Aujourd'hui journée des pieds

Une notification parfaitement incongrue tôt ce matin sur mon téléphone: elle m'informait que j'avais fait zéro pas dans la journée. Je n'avais pas encore mis le pied par terre, évidemment.

Une fois levée, j'en ai fait quelques uns, quand même, de pas. Deux allers-retours à la pharmacie, un chez le médecin. Juste ce qu'il faut pour s'occuper un peu de moi (et ça a suffi à me fatiguer. Le semestre avec 4 ou 5 aller-retours à Paris par semaine va être rude, je le sens). Mes pieds, au moins, n'ont pas mal ces jours-ci, et j'avoue que c'est un soulagement.

Ma fille a passé une partie du dîner à se demander si ses mains ressemblaient à des pieds, ou si c'était plutôt ses pieds qui ressemblaient à des mains. L'air dégoûté de son père (qui déteste les pieds, allez savoir pourquoi) ne l'a pas beaucoup dérangée dans sa réflexion, et l'ensemble de la scène était assez comique, je dois dire :)

vendredi 26 janvier 2024

26 janvier - Aujourd’hui numéro en couleur

"Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, Violette, Violette
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, Vi-o-lette!"

Mon fils chante souvent cette chanson, et ça m'émeut, parce que c'est une chanson d'enfance de ma Maman.

dimanche 14 janvier 2024

14 janvier - Aujourd'hui transparences

Je renâcle à effacer le sapin de Noël que les enfants et moi avons dessiné sur une des baies vitrées du salon, le 24 au soir. On ne voulait pas acheter de sapin alors qu'on allait passer l'essentiel des vacances ailleurs, mais au dernier moment, Nawimba a parlé, pour faire une blague, d'utiliser les crayons Woody pour en créer un en deux dimensions sur une vitre. Aussitôt dit, aussitôt fait. On l'a dessiné, colorié, décoré avec des boules dessinées, et d'autres collées sur la vitre. C'était plutôt joli pour le réveillon, et pas mal du tout non plus de jour, avec le volet remonté. La lumière en transparence dans les couleurs du dessin.

Ça m'a fait plaisir, d'avoir trouvé une idée pour remplacer le vrai sapin coupé. Je crois qu'on le refera.

Quand on est rentrés, j'ai effacé juste les décorations de Noël, mais j'ai laissé le sapin sur la vitre. J'ai dit aux enfants que je le laisserais encore une semaine avant de l'effacer, mais la vérité, c'est que je l'aime bien, et que je n'ai pas très envie de le faire. Nawimba trouve qu'il bouffe de la luminosité, mais moi, je trouve qu'il égaye quand il fait gris, justement :)

Et j'aime assez l'idée qu'on le voie un tout petit peu de la rue ou de chez les voisins.

Peut-être que je l'effacerai dans quelques jours, et que je ferai d'autres décorations aux Woody, avec des couleurs plutôt claires, pour me réconforter :)

jeudi 11 janvier 2024

Colère, colère, colère

Un thème récurrent dans ma vie ces derniers mois (ou deux dernières années, disons), est: la colère. Je me fous en rogne, ça monte très vite, et selon les cas, j'explose ou je suinte. Dans tous les cas, c'est désagréable, et les gens autour ne le vivent pas très bien. Moi non plus, notez bien.

Le truc c'est que je ne peux pas, pardon, je ne veux pas renoncer à ma colère. Une part de moi est en général très désolée pour les gens en face, sur le coup ou juste après. Mais là, tout de suite, je ne peux pas lâcher la colère.
Parce que ça fait 25 ans que je l'enfouis, que je lui refuse droit de cité. "J'aime pas me mettre en colère". "J'évite, parce que ça me coûte trop d'énergie". C'est des conneries, ça. Tu sais, ce qui m'épuise, en réalité? C'est de la contenir. Et tu sais pourquoi je la contiens? Pour protéger les autres, et pour me protéger moi. Parce que, très petite fille, j'ai identifié colère et violence. Je me suis imaginé que ma colère pourrait tuer, ou que je pourrais moi, littéralement, exploser sous son effet. J'ai des images très nettes de morcellement. À 40 ans, c'est encore assez flippant, enfant, ça devait être vraiment terrifiant, je suppose.
Sauf qu'en réalité, si je réfléchis deux secondes, je ne vais tuer personne (sans doute), et je ne vais pas partir en morceaux. En revanche, l'option "on va faire comme si ça existait pas tant que je ne suis pas complètement acculée, le dos au mur avec aucune autre issue que de me mettre en colère", elle, elle a un coût réel. Entre les cycles dépressifs récurrents depuis mes 13-14 ans, et l'anxiété croissante de la dernière décennie, l'addition commence à être sacrément salée.

Donc là, ça sort. Et ça sort notamment, devant le nez de gens que j'aime, qui ne comprennent pas toujours très bien d'où ça vient. Et qui ne trouvent sans doute pas très juste que je m'en prenne à eux, parce que "merde, on s'aime, quand même, tu peux pas t'en prendre aux connards qui peuplent le monde? Je me sens jugé·e, alors que tu sais très bien que je ne suis pas *comme ça*".

Mais voilà: les connards, j'ai jamais eu de mal à être en colère contre eux (de loin, en général). Et je ne me sens pas trahie par les connards, qui ne sont rien dans ma vie. Je me sens trahie, intensément trahie, comme une gamine de 3 ans, par les gens que j'aime fort et qui ont fait le choix INSENSÉ de ne pas être d'accord avec moi en permanence, et de ne pas vivre leur vie comme moi.
Voilà.
C'est nul. Je reconnais que c'est complètement crétin, que c'est excessivement puéril, mais là, tout de suite, c'est comme ça.
Je suis brassée par la remontée de la très petite fille et de l'enfant et de l'adolescente que j'étais, et qui ont toutes les trois appris à bien fermer leur gueule pour se conformer à ce qu'elles pensaient être attendu d'elles. J'ai passé des décennies à ne pas très bien savoir ce qui était moi, et ce qui était les autres, et ce qui était à moi et ce qui était aux autres.

C'est en train de bouger. Et c'est une putain de victoire, en fait.
Mais ça secoue quand même pas mal, et ça passe notamment (pas uniquement...) par la réappropriation de ma colère. MA COLÈRE À MOI.

Elle est moche: tant pis.
J'ai parfois tort: tant pis
Ça fait de moi une connasse hystérique et de mauvaise foi qui gueule pour des conneries: tant pis.
Je blesse les gens autour de moi...Tant pis. Une part de moi est en grosse panique à cause de ça ("Iels sont blessé·e·s et c'est ma faute"; "iels ne vont plus m'aimer"), et la dépression lutte souvent pour reprendre le dessus sur la colère, et arranger le coup, mais: TANT. PIS.

J'ai besoin de trouver une issue pour que ce truc sorte de moi, avant qu'il replonge sous la surface et que j'en reprenne pour 40 ans. J'ai assez confiance dans le fait que je vais trouver et que ça va se tasser. J'espère que je ne me serai pas mis la moitié de mes proches adultes à dos d'ici là (je précise "adultes" parce que pour le coup, j'essaye de moins exploser devant mes gamins, qui ont beaucoup encaissé l'an dernier).

Mais je traite les problèmes par ordre d'urgence. Et là, mon urgence, c'est moi.

mardi 9 janvier 2024

9 janvier - Aujourd'hui tentative de liberté

Je n'ai pas passé une très bonne journée, pour plein de raisons. Le boulot, le froid, la neige, mon corps fatigué et douloureux. Ma culpabilité d'avoir oublié de donner son goûter à ma fille pour l'étude, de rentrer tard et d'obliger mes enfants à rester plus de 10h à l'école aujourd'hui.

Le truc qui m'a le plus affectée, je crois, est un mail de mon père. Il avait prévu il y a quelques mois d'organiser une exposition rétrospective des œuvres de ma mère, pour célébrer ses 70 ans. Ça devait se passer dans un très beau lieu, une chapelle dans le Vercors. Il m'a écrit aujourd'hui qu'ils avaient décidé d'annuler, parce que l'organisation était en train de devenir un sujet massif d'angoisse pour eux deux, parce qu'ils vieillissent, qu'ils ont des problèmes de santé, chacun au moins une opération à venir dans les mois prochains, sans en connaître encore la date, etc. Je comprends très bien qu'ils renoncent, mais ça m'a fichu un coup au moral.

C'était un beau projet, cette expo, et ça me faisait envie. D'aider ma mère à choisir dans la multitude de ce qu'elle a créé depuis 40 ans. D'aller aider à l'accrochage. De voir la famille et les amis réunis autour d'elle et de tout ce qu'elle a fait de beau. Et leur vieillissement m'entame aussi beaucoup ces derniers jours. Le rétrécissement de la vie. La perte d'autonomie et de liberté. Pas juste physique, mais mentale. Mes parents ont passé toute leur vie de couple à se lancer ensemble dans des projets un peu fous, un peu démesurés, toujours un peu hors des clous, pour faire du beau, pour penser des choses, pour fabriquer du vivant. Je crois que sous cette forme-là, c'est terminé. Il en restera d'autres, moins ambitieuses, et pas moins intéressantes. Mais ils font, il me semble, en accéléré, le deuil de plein de choses qui étaient eux, et je me retrouve à le faire avec eux. Un peu à l'arrière plan, parce que ce n'est pas de moi qu'il s'agit, mais douloureusement, quand même, parce c'est une part importante et constitutive de mon histoire.

Il y a eu une tentative, une tension pour faire, organiser, créer du beau, encore une fois.
Et il faut reculer.
C'est la vie. Et c'est un peu nul, sur ce coup-là.

mardi 24 octobre 2023

Petit à petit, les petits piafs font leurs nids

Cette nuit, l'Étourneau dort pour la première fois dans sa nouvelle chambre (l'ancienne salle de jeu).

Depuis hier, on bouge des meubles, on trie des jouets. Hier, les enfants se sont partagés, sans conflits, les jeux de société. Aujourd'hui, ils ont attaqué le contenu de plusieurs caisses de jouets. Ça se passe beaucoup mieux que ce que j'anticipais (bon, enfin c'est le bordel, quand même).

Si on excepte ses premiers mois où l'Étourneau dormait dans notre chambre, et les très rares fois où on a dû exfiltrer l'un des deux, malade, de la chambre pour aller dormir ailleurs avec lui ou elle), mes enfants n'ont quasiment jamais dormi séparément. Bizarrement, c'est le Moineau qui avait le plus besoin de cette chambre commune, qui disait le plus avoir peur de dormir seule. Ces temps-ci, c'est elle qui a été à l'origine de la migration du petit vers l'autre pièce. Depuis des semaines, elle manifeste son impatience quand il la suit partout, revendique qu'elle veut jouer seule dans sa chambre, sans lui. Mais ce soir encore, au moment de se coucher, elle avait peur de dormir seule. Elle veut être seule le jour, mais pas la nuit (et en fait, même le jour, elle n'aime pas beaucoup être seule à l'étage, et préfère que son frère soit quand même juste à l'autre bout du couloir, pas trop loin.)

J'ai suggéré qu'ils fassent un pacte de courage avant d'aller au lit. À vrai dire, le petit avait l'air très content de rejoindre son lit dans sa nouvelle chambre. Quand je lui ai souhaité bonne nuit à travers la porte avant de descendre, il ne m'a même pas répondu. Et peut-être que je me fais des idées, mais il me semble qu'il a fait beaucoup d'efforts toute la journée pour être particulièrement autonome et grand sur plein de trucs.

Je m'attendais à être rappelée par l'une ou l'autre (surtout l'une), mais au bout de trois heures, rien. On verra si ça tient la nuit...

Mes petits oiseaux dans deux nids séparés. Encore une étape franchie.

vendredi 20 janvier 2023

1986-1987 : Chambardements

Je fête mes trois ans début juin. Pour m’acclimater à l’école, j’y vais pendant un mois, avant les grandes vacances. Je n’ai qu’un seul souvenir de ma première institutrice et il est inquiétant. Une dame imposante et légèrement menaçante se découpe à contre-jour dans un couloir un peu sombre (derrière elle, la lumière du jour, en provenance de la salle de motricité). Elle a des cheveux roux, courts et bouclés.

L'été arrive. Je vis apparemment mal la toute fin de la grossesse de ma mère, et demande à aller passer chez mes grands-parents le temps qui reste avant l’arrivée du bébé, ce qui ravit ma grand-mère.

Je n’ai aucun souvenir de la naissance de Y. début août, et en fait, aucun non plus de ses premiers mois. Une photo le montre tout petit dans les bras de mon grand-père, mon père et moi à leurs côtés. J'ai un air dubitatif, voire légèrement dégoûté.

En septembre, j’entre pour de bon en maternelle. La première de mes vingt-quatre années de scolarité !

dimanche 1 janvier 2023

Trop peu de pommes au pommier

De 2022, j'ai été tentée de dire que c'était une année sèche, une année à vide. Mais j'ai beaucoup pleuré, et beaucoup débordé.

Si je réfléchis trois minutes, je trouve plein de moments chouettes, de plaisirs, de jolies choses à regarder, quelques fiertés et auto-satisfactions, aussi. Mais le sentiment qui prédomine, pour cette année, est l'accablement.

Beaucoup de frustration, beaucoup de colère.
L'épuisement.
L'angoisse massive et répétée.
La dépression.

Dans mes relations familiales, professionnelles, amicales parfois. À cause de l'état du monde, aussi, qui me terrifie, et que je peine à tenir à distance.

Je garderai probablement de cette année le sentiment de la difficulté à communiquer, à me faire entendre et écouter, et sans doute aussi, à écouter les autres, parce que je n'ai plus l'énergie de le faire, et que cela s'est toujours beaucoup fait à mes dépens.
L'impression de ne plus avoir de marge du tout, que les réserves dans lesquelles je suis obligée de puiser depuis des années sont à sec. L'envie qu'on s'occupe de moi comme d'une très petite fille, ou de voir des gens et de laisser l'extérieur me donner du bien-être, ou au contraire d'envoyer bouler le monde entier, parce que j'en peux plus.

Mes rôles de mère, d'amoureuse, d'amie, d'enseignante, de responsable de département demandent que je m'occupe, que je prenne soin des autres. Je n'y arrive plus très bien. Et je ne sais ni comment y arriver à nouveau, ni comment réduire la voilure pour prendre soin de moi. J'ai passé le creux très creux de la vague en novembre, mais si rien ne change, je me retrouverai à suffoquer à la prochaine. Je ne regretterai pas 2022, mais je ne peux pas dire que j'aborde 2023 avec enthousiasme.

Je me cramponne, je crois, à ce qui m'apporte du plaisir. À ceux qui m'apportent du bien-être et de l'écoute, aussi. Au-delà de mes très proches, pas mal de monde sur les réseaux sociaux. Les remerciements adressés ci et là à ceux qui m'ont fait du bien avec leurs mots ne sont pas à la mesure de la gratitude que je ressens. J'espère que vous vous reconnaîtrez si vous passez par ici. Merci d'être là.

(Le titre de ce billet est une citation d'Anne Sylvestre. La chanson est écoutable ici)

vendredi 4 novembre 2022

1985-1986: Premiers souvenirs

Mon plus ancien souvenir date, je crois, de cette année-là.

Je suis chez mes grands-parents, dans une entrée assez sombre. Un escalier qui me semble très haut et très raide part sur ma gauche. Il y a peut-être une petite fenêtre en haut des marches. Et une porte en face de moi, je crois.

Je ne sais même pas si c’est mon souvenir que je raconte, ou le souvenir de mon souvenir. C’est en tout cas l’un des seuls souvenirs de ma très petite enfance qui ne soit pas imprégné d’une très forte émotion.

Dans un autre sans doute un peu plus tard, je cours pour rattraper mes grands-parents, qui m’ont un peu distancée sur une route. Je tombe, un caillou pointu m’entaille profondément le genou. J’ai sans doute pleuré, mais je ne m’en souviens pas. Juste de la course et de la chute.

J’ai toujours la cicatrice.

Dans un troisième, je cours, pleine d’allégresse, dans les coursives de l’Université Lyon II, où travaille mon père. Il m’y emmenait quelques fois, et je fréquentais de temps en temps la halte-garderie (oui, il y avait une garderie à Lyon II dans les années 80. Je ne sais pas si vous vous rendez-compte, je n’ai jamais revu ça dans aucune fac...)

J’ai eu quelques cours dans ces locaux, pendant mes premières années d’études. Mais le sentiment de familiarité que j’ai avec ces lieux, et l’affection que j’ai pour eux, date de l’époque où je n’avais aucune idée de ce qu’on y faisait. Il y avait juste de longues coursives vides, le soleil entre les barreaux des balustrades, les jardins.


Ma mère est enceinte de mon frère, cette année-là. Je n’en ai, pour le coup, aucun souvenir.

dimanche 30 octobre 2022

1984-1985: Jumelles

J’ai réalisé après avoir écrit mon premier texte que je n’y parlais presque pas de moi.
Mais moi, sans les souvenirs, c’est quoi ?
Des discours à propos de moi. Les mots des autres.

J’ai vécu mes premières années sur la colline de Fourvière, à Lyon. Mais mes parents rénovaient sur leur temps libre, une vieille maison en Isère, dans l’idée de s’y installer un jour. Il s’agissait d’un des bâtiments d’une vieille ferme, possédée par un couple de leurs amis. Les Blaches. On va aux Blaches.

Nous y passions donc souvent les week-ends et une partie des vacances, quand j’étais toute petite. J’ai beaucoup de souvenirs plus tardifs de cette maison, dans laquelle nous sommes souvent retournés même après que mes parents ont renoncé à leur projet. Elle est à l’origine de mon amour pour les vieilles baraques de campagne poussiéreuses, dont toutes les pièces sont pleines de bric et de broc et de vieux livres. Mais je n’ai pas de souvenir personnel de là-bas avant mes 4 ans.

J’en ai beaucoup entendu parler, en revanche. La famille des amis de mes parents étaient haute en couleur, et nombre d’anecdotes appartenant à la légende familiale datent de ce temps-là.

Une ambiance sonore. Le son des violons malmenés par les enfants qui débutaient. Les aboiements du montagne des Pyrénées de mon père, et de celui des amis. Les pigeons. Les déconvenues de mes parents, aussi, qui se formaient sur le tas à tout un tas de techniques manuelles et de bricolage, avec… plus ou moins de succès.

Les conneries des enfants, aussi. Les amis de mes parents avaient 6 enfants, tous un peu surdoués (ou beaucoup), tous musiciens. Tous un peu frappés, je crois. La cinquième d’entre eux, M., avait un mois de plus que moi. Quand nous étions aux Blaches, et tant que le bâtiment que mes parents rénovaient n’étaient pas terminé, nous dormions elle et moi dans la même chambre dans un autre bâtiment, chaque couple parental se trouvant à une extrémité du couloir.

M. et moi avons vite pris l’intéressante décision de pleurer de la même façon. Nos parents se levaient donc en alternance. Et si leur progéniture n’était pas à l’origine du raffut nocturne, ils braillaient « C’est à vouuus ! » avant d’aller se recoucher.

Presque 40 ans plus tard, cela les fait toujours beaucoup rire.

Je ne sais pas si M. et moi sommes aujourd'hui amies, ou même copines. Nous nous voyons peu et ne sommes plus très proches, parce que… la vie. Mais les retrouvailles sont, ont toujours été paisibles et confortables.

De loin en loin, elle reste « ma jumelle ».

mercredi 26 octobre 2022

1983-84: Au tout début

Je suis née.




Quatrième enfant de mon père, première enfant de ma mère.

S’interroger sur sa propre naissance, c’est toucher à quelque chose d’avant, qui n’appartient qu’à ses parents.

Du prologue, je ne sais évidemment que ce qu’ils m’ont raconté. Qu’elle pensait ne pas vouloir d’enfants, qu’elle avait peur d’être aussi toxique que sa propre mère. Qu’il a insisté, lui qui était déjà trois fois père, parce qu’il avait peur qu’elle regrette plus tard ce choix. Et qu’elle a accepté, à condition de prévoir deux enfants, parce qu’elle ne voulait pas condamner son enfant à être aussi solitaire qu’elle l’avait été elle-même. Deux ou rien, c’était le deal.

Ce que je crois, moi, c’est qu’il n’a pas eu trop de mal à la convaincre. Leur relation date de fin septembre 1981, et je suis née début juin 1983. Je ne sais plus quand j’ai fait le calcul, mais j’ai l’impression d’avoir toujours su que l’envie d’avoir des enfants pouvait venir vite, dans une histoire d’amour.

Je suis née d’une asymétrie, d’un père agé de quarante-cinq ans et d’une mère seize ans plus jeune. D’un père normalien, et d’une mère passée par un lycée agricole et une école d’assistante sociale. Sur le papier, c’était pas évident, cette histoire. Mais dans les faits, ça l’a été, évident, pour eux.

La légende familiale veut qu’ils aient été farfouiller dans un de ces bouquins recensant tout un tas de caractéristiques plus ou moins bidons sur les prénoms. Pour le mien, ça donnait :« Il faut s’occuper d’elle, sinon c’est elle qui s’occupe de vous, et c’est pire. » Ça les a apparemment décidés.

Ils m’ont donc prénommée. Et m’ont appelée ensuite, dès ma toute petite enfance, par un surnom que toute ma famille utilise depuis. Au point que j’ai mis plus de 25 ans à réussir à m’identifier, un peu, à mon prénom.

mardi 25 octobre 2022

Se reposer

"Repose toi"

"Il faudrait que vous fassiez du sport. Vous marchez, vous n'êtes pas sédentaire, mais il faudrait que vous fassiez du sport pour vous détendre."

"Allez marcher, faites des promenades."

"Faut faire du renforcement musculaire, pour ne plus te coincer le dos systématiquement."

Tout mon entourage familial, amical, réseau-social, médical, semble d'accord sur les solutions. Pour aller mieux. Il faut que je me repose, que je prenne du temps pour moi, que je lâche prise, que je fasse du sport.

J'entends bien. Je suis même d'accord sur le fond. Je voudrais juste bien savoir quand. Qui me libèrera du temps pour ça. Et qui me donnera le sentiment que je PEUX prendre ce temps, quand j'en ai besoin.

Il y a quelques semaines, j'ai dit non à un collègue qui me demandait de remplacer quelqu'un au conseil de laboratoire (mensuel). Ou plus exactement j'ai commencé à louvoyer, c'est le jour que j'ai bloqué pour la recherche, et j'ai mal au pied depuis des semaines, je ne peux pas promettre de pouvoir faire le trajet. Il m'a dit "D'accord. On n'est pas là pour esclavagiser les gens". J'en ai pleuré. Tellement c'est rare qu'un collègue entende et admette que je puisse dire non. Tellement c'est rare de ne pas avoir à batailler pour préserver dix minutes de mon temps.

La plupart de ces collègues ne sont pas d'horribles esclavagistes. Juste des gens eux-mêmes surchargés de travail. Qui veulent que la maison, les maisons en fait (le labo, la section, le département, l'établissement), tournent. J'en fait sans doute partie moi-même. Les mails jusqu'à minuit, les textos, les contraintes intenables, les délais, les transferts de charges administratives pour faire des économies de bouts de chandelles. Les collègues (souvent copains ou copines) qui me souhaitent du repos sont en partie les mêmes que celles et ceux qui font peser sur moi des contraintes. Et j'en fais peser sur eux aussi. Et chaque fois qu'un maillon lâche, la chaîne se tend pour tous les autres.

Mes enfants voudraient une maman qui crie moins, mais ont du mal à supporter que je puisse avoir besoin de temps sans eux. Ça peut se comprendre: ils ont 3 et 6 ans, et sont déjà assez autonomes. Objectivement, ils ne sont pas tout le temps sur mon dos, ils se gèrent pas si mal. Ils ont juste un sixième sens pour se coller à moi dans les moments où je suis sur le point d'exploser.

Je le sais bien que c'est difficile de demander à des enfants de se passer de leur mère.


Mon amoureux m'encourage à me reposer, à prendre du temps pour moi. Il prend tant d'heures par semaine pour ses besoins à lui, je devrais faire pareil. On s'arrangera. Mais dans les deux jours qui suivent la conversation, deux preuves éclatantes que dans les faits, ça n'est pas possible. Et une semaine plus tard, rebelote pour l'organisation des vacances. Il faut aller quelque part, et faire quelque chose ensemble, quand je voudrais juste pouvoir dormir toute la journée.

Lui aussi est au bout du rouleau, je le sais bien. Je le sais bien que si je m'arrête, tout lui retombe dessus. Il a besoin aussi de certaines choses, pas les mêmes que moi. Bon.


Alors moi, je veux bien, réorganiser mes routines de travail dysfonctionnelles. Arrêter de consulter mes mails au petit matin, tard le soir, le week-end. Prendre des anxiolytiques le temps que la vague passe. Retourner voir une psy moins d'un an et demi après avoir arrêté l'analyse. Faire trois-quatre dessins et deux balades pendant mes trois semaines d'arrêt.

Mais je voudrais qu'on arrête de faire semblant. De prétendre qu'il suffit que JE prenne soin de moi, et que le monde acceptera de se réorganiser autour de moi. Que je peux bosser uniquement à des horaires décents et abattre le travail attendu de moi. Que je peux dormir quand j'en ai besoin. Sortir et voir des gens quand j'en ai besoin. Être seule quand j'en ai besoin. Prendre des vacances vraiment reposantes pour moi. Ne recevoir des gens chez moi que quand je suis en état de les accueillir.

Qu'on arrête de faire comme si le temps était extensible.

Qu'on arrête de me dire de prendre soin de mon corps qui fout le camp par tous les bouts, comme s'il encaissait pas en continu depuis 12 ans le stress, la fatigue, les grossesses et fausses-couches, les déménagements. Comme si c'était juste moi qui le bichonne pas assez.

Et qu'on arrête de faire comme si c'était un problème individuel, et non pas social. Personnel, et non pas global.

"Fais du sport, ça ira mieux".

Allez vous faire voir, en fait.

jeudi 5 mai 2022

Bercail

Quatre jours chez mes parents, sans Nawimba ni les enfants.


Trajet tranquille. Une chanson dans la tête, tant d'années plus tard.

Retrouvailles.

L'odeur de la lessive de ma mère. La saveur des choses pas goûtées depuis longtemps.

Nuits hachées. Tirer sur la corde. Tirer, tirer, tirer.

Des fleurs, la végétation. Folle puis moins folle. L'explosion, les couleurs. L'odeur de menthe sur mes doigts.

Des nouvelles des oiseaux du coin et des souvenirs des amis lointains.

La création débridée des deux dernières années. Du beau. Du caché. Des boites dans des boites, des plis dans des plis. L'os dans l'ocre, l'or dans l'encre.

Beaucoup de mots.

Lui. Lui. Elle. Eux. Lui et sa toute petite aussi.

La lumière dans les peupliers. Le bruit de la chute d'eau.

Lâcher prise. Soupirer. Rire.

Épuisée. Et plus sereine que je ne l'ai été depuis des semaines, après ce retour au bercail.

vendredi 3 décembre 2021

Complicité

Depuis deux-trois semaines, la complicité entre le Moineau et l'Etourneau s'est énormément développée. Ils jouent plus ensemble, ils rigolent énormément, ils font les andouilles, et du coup... se liguent contre nous. Dans le bain, par exemple, ça fait plusieurs fois qu'ils se mettent à fronder ensemble pour ne pas se laver, la grande encourageant le petit à se rebeller (j'adore..).

Et donc ce soir... j'avais pris soin d'annoncer 5 minutes avant que je venais les laver. J'entre dans la salle de bain, et le Moineau se place en travers de la baignoire, abritant le ptit corps de son frère derrière elle, les bras bien écartés, en me déclarant à plusieurs reprises d'un air très vindicatif "C'est MON frère! C'est MON frère". Je confirme que c'est son frère, et au bout d'un moment elle ajoute: "Je le sauve! Je le sauve, mon frère!"

"Eh, euh, du coup... toi? c'est qui qui te sauve?"

Elle a baissé les bras à toute vitesse, s'est décalée vers l'autre bout de la baignoire, et s'est mise à crier "Tu laves Étourneau d'abord! Étourneau d'abord!"

Ouais, parce que la solidarité avec les plus faibles, ça va bien 5 minutes, hein...

mercredi 10 novembre 2021

Dessin

J'ai grandi avec une maman artiste. Quand j'étais petite, elle peignait, sculptait, modelait. Plus tard, elle a fait de la broderie, de la photo, des bijoux, a travaillé le cuir, et des dizaines d'autres trucs. Touche à tout. Avec la peinture, toujours, en toile de fond. Ça a eu quelque chose d'inhibant pour moi, mais en même temps, au passage, elle m'a appris plein de petits trucs. Et si je ne me suis pas toujours autorisée à me sentir douée, elle m'a donné quand même envie de tenter plein de trucs. Quand j'étais ado, elle organisait tous les deux-trois ans "la semaine de la création", une semaine pendant laquelle des gens de la famille et des amis étaient invités à venir tester plein de techniques tous ensemble. Elle mettait son matériel à disposition de tous, et des conseils aussi... Linogravure, argile, sculpture sur béton cellulaire, pastel, fusain, sanguines, crayon, acrylique, aquarelle. Une fois ma cousine est venue avec son tour de potier. Une autre mon frère a fait une initiation au logiciel Blender. Une année, ça a été orienté plutôt vers les arts de la scène (je l'ai ratée, j'étais au Vanuatu..).

Bref. Ma mère m'a permis de toucher à plein de choses, l'air de rien. Et en ayant l'impression de ne rien savoir faire,.. ben j'ai fait des trucs. J'ai peint un peu. Dessiné beaucoup. Eu une grosse période "pastels à l'huile", et une plus brève "pastels secs". Et puis, plus rien pendant longtemps. Il peut se passer des années sans que je prenne un pinceau ou un crayon, réellement.

Il y a quelques mois, j'ai bloqué sur une photo de mon fils, et gribouillé un portrait sur un bout de feuille de brouillon. Et la bouille du gosse est sortie vraiment bien, et j'ai eu un petit moment de satisfaction intense. Mais je n'ai pas repris.

Etourneau, avr. 2021

Et puis, depuis la rentrée, ma fille s'est mise à dessiner beaucoup. Parfois une quinzaine de dessins par jour. Et à se plaindre de ce qu'elle faisait. Alors je lui ai donné un ou deux conseils. Son oncle est passé un soir et a passé un moment avec elle aussi à lui montrer comment rectifier certains trucs. J'ai trouvé ça trop chouette de la voir d'un coup progresser.

La semaine dernière, j'ai fait un saut chez mes parents, et j'ai feuilleté mes vieux cartons à dessins. Y avait des trucs pas mal. J'ai pris quelques photos à l'arrache. Mais surtout, ça m'a donné envie de reprendre pour de vrai.

Alors à notre retour, le Moineau et moi, on s'est installées ensemble pour dessiner. On a décidé de dessiner les mêmes choses. Un petit moulin en faïence que j'ai dans mon bureau. Et une façade d'immeuble inventée. Les siens étaient tous dynamiques, avec plein de détails. Et aujourd'hui, elle a dessiné des super-héroïnes avec son père. J'ai regardé ses dessins, et d'un coup je me suis dit: "Mais là, en fait, on sort de cette période où on la regardait passer tranquillement les différentes étapes du développement enfantin, les types de bonshommes, tout ça. On arrive au moment où ma fille développe un truc à elle. Où elle se fait la main et l’œil. Où ses dessins me rendent heureuse, pas parce que c'est des dessins de grande, mais parce qu'elle prend sa façon à elle de dessiner."

Supergirl, par le Moineau, nov. 2021

Et en arrière-plan, cette émotion un peu floue, mais assez intense en fait, en pensant que je pourrais, peut-être, si elle a envie, lui transmettre des choses dans ce domaine. Ça a l'air de rien, ça, hein. Mais en fait, c'est énorme. Et ça me prend complètement par surprise. Et c'est trop bien.

vendredi 14 mai 2021

Une rencontre, enfin

Nawimba a deux frères, de deux et quatre ans plus jeunes que lui. Ils ont vécu très différemment la naissance du Moineau, première fille du frère aîné. Le plus âgé des deux était enthousiaste, l'a portée, y compris en écharpe, l'a bercée, nourrie à la cuillère, a joué et parlé avec elle, beaucoup. Il n'a pas d'enfants, et il en voudrait, très fort, je crois. On n'en parle pas beaucoup.

Quand il a su qu'on venait vivre à 10 minutes de son boulot, il a mis une option sur la sortie d'école du Moineau, une fois par semaine. J'ai sauté sur l'occasion!

Le frère cadet de Nawimba, pendant des années, était beaucoup plus sur la réserve. Il refusait de porter le Moineau petite, il avait très peur de lui faire mal. Une fois, je suis arrivée et l'ai trouvé, seul avec elle dans les bras, tétanisé. Nawimba la lui avait collé dans les bras le temps d'aller faire un truc dans la cuisine. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi immobile... Il n'a jamais tellement joué avec elle, ne l'a jamais beaucoup taquinée. Il lui disait gentiment bonjour, et au revoir, et puis voilà. On n'a pas forcé, on s'est dit qu'entre ses angoisses, et le fait qu'elle le délogeait un peu de la place du petit dernier de la famille, il ne fallait pas le brusquer.

L'Etourneau est arrivé trois ans plus tard, et les choses, déjà, étaient plus détendues. Un peu, mais pas beaucoup. J'ai un souvenir de ce tout petit garçon, assis entre ses deux oncles sur le canapé, après le confinement, l'an dernier, et de m'être dit "Tiens, une image qu'on n'aurait pas eue pour la première bébée...".

Depuis quelques semaines, le frère cadet de Nawimba vit dans notre nouvelle maison. Ça nous arrangeait qu'elle ne soit pas vide pendant des mois avant notre emménagement, et ça l'arrangeait d'avoir un point de chute, à ce moment là. On se voit le week-end, c'est sympa. Et je le regarde vivre avec les enfants. Les observer, très précisément, comme s'il les découvrait, d'un coup, avec beaucoup d'attention. Il s'est émerveillé l'autre jour que l’Étourneau (18 mois, quand même), sache toucher les différentes parties de son visage si on les lui annonce (Ce qui me fait rigoler, parce qu'à 18 mois, le Moineau avait quelque chose comme 200 mots de vocabulaire actif, dont un grand nombre de parties du corps. Et il la voyait tous les week-ends...)

Il garde un œil vigilant sur lui, le suit discrètement quand il part faire le tour du jardin tout seul, en vacillant sur ses deux petites jambes flageolantes (tandis que ses parents épuisés ne réalisent même pas, une fois sur deux, que leur rejeton se fait la malle).

Et puis l'autre jour, il a emmené le Moineau au grand parc d'à côté. Il se sont perdus, et sont revenus tranquillement 15 minutes après le couvre-feu. Il avait essayé de la porter pour aller plus vite, mais m'a dit qu'il n'avait pas très bien su comment la prendre (tu m'étonnes... elle déborde de partout, ma grande gigue de 4-ans-presque-5). Le lendemain, on la lui a laissée deux heures pendant qu'on allait faire une course avec le bébé. Ils sont allés à la boulangerie, se sont re-perdus, et ont fait le tour du quartier. Il la laisse de temps en temps toucher son piano. Il s'affole quand le bébé la tape, désemparé de ne pas savoir comment intervenir..

Il lui dit de finir son assiette quand elle parle trop, lui qui est toujours le dernier à terminer la sienne, parce qu'il ne peut pas manger tant qu'il n'aura pas épuisé les mille questions qui l'agitent (et d'un coup, d'un coup, je vois l'immense ressemblance entre ces deux là, qui ne m'avait jamais frappée).

Il s'étonne à voix haute qu'elle l'aime, alors qu'il n'a "vraiment rien fait pour" (sans se rendre compte que les hommes qui ne cherchent pas à forcer son affection sont justement ceux en qui le Moineau a le plus confiance...).

Il parle beaucoup d'eux à ses parents, qui sont au courant de tous les petits détails les concernant, par son entremise.

Il appelle l’Étourneau "mon grand" et le Moineau "ma puce".

C'est terriblement émouvant de regarder ce grand-ancien-petit-garçon s'installer tout à coup dans sa place d'adulte, au contact de mes deux piou-pious, qui eux, trouvent ça parfaitement naturel.

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