samedi 24 mai 2025

Chers collègues

Différentes versions de ce que j'aurais aimé répondre à ces deux collègues se chamaillant par mail en me mettant en copie, alors que je ne suis plus directrice de département depuis fin mars, et donc plus concernée du tout par leur bisbilles, à aucun titre:

Version franche

Chers collègues,

J'ai autre chose à foutre que lire vos conneries pendant mon week-end. Allez jouer aux billes sur l'autoroute et foutez moi la paix.

Bien à vous,

Nasiviru

Version navrée

Chers collègues,

J'ai bien étudié la question, et pour diverses raisons, à savoir:

- j'ai déjà deux enfants beaucoup plus choupis que vous;
- vous avez tous les deux 25 ans de plus que moi;
- ma maison ne dispose pas d'assez de chambres;
- mon mec n'est pas plus enthousiaste que moi à l'idée de vous adopter,

je suis au regret de vous annoncer que je ne peux vraiment, vraiment pas être votre maman.

Bien à vous,

Nasiviru

Version maternelle

Chers collègues,

Je veux pas savoir qui c'est qui a commencé. Filez chacun dans votre salle de cours, je ne veux plus vous entendre.

Bien à vous,

Nasiviru

Version victorienne

Chers collègues,

Les offenses que chacun d'entre vous rapporte dans vos derniers mails sont en effet capitales. Il me semble que l'unique solution à la hauteur de ces injures mutuelles est un duel à mort. Rendez-vous lundi matin à l'aube avec vos témoins et des épées dans le square situé en face de l'établissement.

Bien à vous,

Nasiviru

Version biblique

Chers collègues,

Au vu des différends qui semblent vous opposer, je propose de couper en deux l'emploi du temps, le tableau de service et l'ensemble de la section d'*******- ******* , pour une répartition équitable entre vous. Peut-être faudrait il d'ailleurs aussi faire de même avec les étudiant.e.s, les collègues, et l'ensemble de l'établissement?

Bien à vous,

Nasiviru

Version bien intentionnée

Chers collègues,

Étant donné que vous semblez déterminés à laver votre linge sale devant des gens pas du tout concernés par la question, je me permets de faire suivre vos échanges à la liste "Tous enseignants" de l'établissement. Il serait dommage que je sois la seule à en profiter.

Bien à vous,

Nasiviru

Version shakespearienne

Chers collègues,

A plague o’ both your houses! They have made worms’ meat of me. I have it, And soundly too. Your houses!

Bien à vous,

Nasiviru.


Ils me fatiguent, sérieux.

jeudi 4 juin 2020

Faire du lien

Tout à l'heure, j'ai eu longuement au téléphone un étudiant qui a planté son semestre (et un peu son année, en fait), pour plein de raisons, le confinement n'étant que la goutte d'eau qui a fait déborder un vase déjà bien rempli. Je ne peux évidemment pas changer grand chose à son cadre de vie, à sa situation financière, à son mal-être. Mais j'ai essayé de dénouer un peu l'écheveau du côté universitaire, tout en ayant l'impression de m'y prendre bien tard. J'ai l'impression que si j'avais pris le taureau par les cornes plus tôt, j'aurai peut-être pu lui éviter de se crasher cette année, le rattraper au vol avant que la démotivation et les difficultés le fichent par terre. Le congé maternité d'un semestre, et le confinement, et son absentéisme entre les deux n'ont pas aidé, c'est vrai, mais j'avais des échos par des collègues qui auraient dû m'alerter.

Un truc que j'ai discuté avec lui était le fruit d'une autre conversation, avec mon amoureux, il y a quelques semaines (à propos de ce même étudiant). Nawimba me racontait comment, venu comme mon étudiant de banlieue, et arrivé dans le petit monde universitaire parisien comme un chien dans un jeu de quille, il avait mis des années avant de comprendre qu'à l'université, et en particulier, dans cet établissement où je bosse, dans cette toute petite licence, les étudiants et les enseignants devaient travailler ensemble. Pas chacun dans sa direction. Pas les uns contre les autres. Que chacun ne fait pas sa vie de son côté, mais qu'on vit et progresse ensemble. Il me disait qu'il l'avait compris très tard, et que ça avait d'une certaine façon fondé sa façon d'être, à son tour, prof. Son rapport aux élèves, aujourd'hui. Ça m'a frappée, cette conversation, parce que ça n'a rien à voir avec ma propre expérience d'élève ou d'étudiante. J'aurais eu du mal à réaliser ça toute seule s'il ne me l'avait expliqué. Moi, à six ans, j'étais déjà plus douée pour créer du lien social avec les instits qu'avec mes camarades. J'étais la bonne élève type, avide justement de dissoudre la barrière entre enseignants et élèves. Avec beaucoup d'entre eux, et en particulier à l'université, j'ai eu un comportement cherchant à créer de la connivence (ce qui est sans doute aussi problématique, d'une autre façon, j'en sais rien). Et ça reste évidemment très prégnant dans mon habitus et mes pratiques d'enseignante.

Alors avec mon étudiant, tout à l'heure, je suis partie de ça. Je lui ai dit que malgré le côté un peu froid de certains collègues, trop "professionnels" pour laisser entendre qu'ils sont affectés par des comportements qu'ils perçoivent comme irrespectueux, ou par l'échec des étudiants; malgré le mécanisme de la notation qui fout parfois un peu le bordel et maintient une apparence de hiérarchie là où il ne devrait pas y en avoir: les enseignants sont là pour ( et uniquement pour, de mon point de vue,) faire progresser les étudiants.Qu'on pouvait s'adapter à ses besoins (un des avantages d'un très petit effectif). Et que personnellement, j'étais prête à beaucoup bosser avec lui pour l'aider à valider sa licence, et que mes collègues aussi, mais qu'on ne pouvait pas ramer seul(e)s. Et qu'il pouvait aussi choisir de ne pas continuer, que tout dépendait de ses envies et de ses possibilités.

Je ne sais pas s'il sera encore là l'an prochain, mais je crois qu'il m'a entendue.

Maintenant, faudrait que j'arrive à expliquer l'autre face du schmilblick, la sienne, à mes collègues. Pas facile-facile non plus. J'ai failli faire chialer une collègue l'autre jour en réunion, en disant qu'il allait falloir faire très attention à l'aspect "vie de promo" au semestre prochain, où nous serons encore essentiellement en distanciel. C'était pas juste ma remarque, en fait: elle bouillait déjà depuis un moment parce que l'organisation de la rentrée, les emplois du temps mixte, les enseignements à repenser, après un semestre déjà pas simple, ça faisait déjà beaucoup. L'idée de faire l'animation et trouzemille trucs en plus lui semblait insupportable, ce que je peux comprendre.

Mais je n'en démords pas, en particulier pour ma petite section (on est en général 20, enseignants et étudiants, à tout casser): il va falloir travailler à souder les étudiants et les enseignants, les étudiants entre eux, au sein d'un même niveau et entre les niveaux. Encore plus que d'habitude. Et que vogue la pirogue :)