dimanche 21 janvier 2024

21 janvier - Aujourd’hui dégoût et des couleurs

Je suis, à moitié fascinée, à moitié dégoûtée le dernier feuilleton à épisodes made in Mediapart. Pour les gens qui arriveraient sur ce billet après quelques mois ou années: il s'agit des différentes révélations de Mediapart et Libé concernant la nouvelle ministre de l'éducation nationale (entre autres), Amélia Oudéa-Castera. J'oscille, selon les moments et les gros titres, entre la colère, le rire sardonique et la curiosité anthropologique. La ligne de défense initiale (sur le fait d'avoir mis ses enfants dans le privé) était en gros "chacun son choix, les goûts et les couleurs, tout ça".

Et, en réalité, oui, je peux l'admettre. Tout le reste (la diffamation des collègues, le mépris pour le public qu'elle est censé représenter comme ministre, le rapport sur Stanislas et les horreurs qui y sont proférées enfin dévoilé, etc..) est plus dur à avaler. Mais surtout, il y a cette impression que l'expression "on ne vit vraiment pas sur la même planète" prend chaque jour de la réalité. J'ai même vu passer un article qui semblait indiquer que la nana n'avait pas *idée* qu'on puisse porter des baskets/des sneakers en dehors d'une activité sportive. C'est complètement trivial, hein, c'est rien du tout comparé à tout le reste, mais j'ai bugué sur ce truc.

Sérieusement? D'OÙ sortent ces gens? Et qui pensent-ils représenter? (ou faire semblant de représenter, on se comprend).

C'est surréaliste.

samedi 13 janvier 2024

13 janvier - Aujourd’hui ce qui ne fonc­tionne pas

En gros, moi.

Pour aller vite, hein.

jeudi 11 janvier 2024

Colère, colère, colère

Un thème récurrent dans ma vie ces derniers mois (ou deux dernières années, disons), est: la colère. Je me fous en rogne, ça monte très vite, et selon les cas, j'explose ou je suinte. Dans tous les cas, c'est désagréable, et les gens autour ne le vivent pas très bien. Moi non plus, notez bien.

Le truc c'est que je ne peux pas, pardon, je ne veux pas renoncer à ma colère. Une part de moi est en général très désolée pour les gens en face, sur le coup ou juste après. Mais là, tout de suite, je ne peux pas lâcher la colère.
Parce que ça fait 25 ans que je l'enfouis, que je lui refuse droit de cité. "J'aime pas me mettre en colère". "J'évite, parce que ça me coûte trop d'énergie". C'est des conneries, ça. Tu sais, ce qui m'épuise, en réalité? C'est de la contenir. Et tu sais pourquoi je la contiens? Pour protéger les autres, et pour me protéger moi. Parce que, très petite fille, j'ai identifié colère et violence. Je me suis imaginé que ma colère pourrait tuer, ou que je pourrais moi, littéralement, exploser sous son effet. J'ai des images très nettes de morcellement. À 40 ans, c'est encore assez flippant, enfant, ça devait être vraiment terrifiant, je suppose.
Sauf qu'en réalité, si je réfléchis deux secondes, je ne vais tuer personne (sans doute), et je ne vais pas partir en morceaux. En revanche, l'option "on va faire comme si ça existait pas tant que je ne suis pas complètement acculée, le dos au mur avec aucune autre issue que de me mettre en colère", elle, elle a un coût réel. Entre les cycles dépressifs récurrents depuis mes 13-14 ans, et l'anxiété croissante de la dernière décennie, l'addition commence à être sacrément salée.

Donc là, ça sort. Et ça sort notamment, devant le nez de gens que j'aime, qui ne comprennent pas toujours très bien d'où ça vient. Et qui ne trouvent sans doute pas très juste que je m'en prenne à eux, parce que "merde, on s'aime, quand même, tu peux pas t'en prendre aux connards qui peuplent le monde? Je me sens jugé·e, alors que tu sais très bien que je ne suis pas *comme ça*".

Mais voilà: les connards, j'ai jamais eu de mal à être en colère contre eux (de loin, en général). Et je ne me sens pas trahie par les connards, qui ne sont rien dans ma vie. Je me sens trahie, intensément trahie, comme une gamine de 3 ans, par les gens que j'aime fort et qui ont fait le choix INSENSÉ de ne pas être d'accord avec moi en permanence, et de ne pas vivre leur vie comme moi.
Voilà.
C'est nul. Je reconnais que c'est complètement crétin, que c'est excessivement puéril, mais là, tout de suite, c'est comme ça.
Je suis brassée par la remontée de la très petite fille et de l'enfant et de l'adolescente que j'étais, et qui ont toutes les trois appris à bien fermer leur gueule pour se conformer à ce qu'elles pensaient être attendu d'elles. J'ai passé des décennies à ne pas très bien savoir ce qui était moi, et ce qui était les autres, et ce qui était à moi et ce qui était aux autres.

C'est en train de bouger. Et c'est une putain de victoire, en fait.
Mais ça secoue quand même pas mal, et ça passe notamment (pas uniquement...) par la réappropriation de ma colère. MA COLÈRE À MOI.

Elle est moche: tant pis.
J'ai parfois tort: tant pis
Ça fait de moi une connasse hystérique et de mauvaise foi qui gueule pour des conneries: tant pis.
Je blesse les gens autour de moi...Tant pis. Une part de moi est en grosse panique à cause de ça ("Iels sont blessé·e·s et c'est ma faute"; "iels ne vont plus m'aimer"), et la dépression lutte souvent pour reprendre le dessus sur la colère, et arranger le coup, mais: TANT. PIS.

J'ai besoin de trouver une issue pour que ce truc sorte de moi, avant qu'il replonge sous la surface et que j'en reprenne pour 40 ans. J'ai assez confiance dans le fait que je vais trouver et que ça va se tasser. J'espère que je ne me serai pas mis la moitié de mes proches adultes à dos d'ici là (je précise "adultes" parce que pour le coup, j'essaye de moins exploser devant mes gamins, qui ont beaucoup encaissé l'an dernier).

Mais je traite les problèmes par ordre d'urgence. Et là, mon urgence, c'est moi.

mardi 9 janvier 2024

9 janvier - Aujourd'hui tentative de liberté

Je n'ai pas passé une très bonne journée, pour plein de raisons. Le boulot, le froid, la neige, mon corps fatigué et douloureux. Ma culpabilité d'avoir oublié de donner son goûter à ma fille pour l'étude, de rentrer tard et d'obliger mes enfants à rester plus de 10h à l'école aujourd'hui.

Le truc qui m'a le plus affectée, je crois, est un mail de mon père. Il avait prévu il y a quelques mois d'organiser une exposition rétrospective des œuvres de ma mère, pour célébrer ses 70 ans. Ça devait se passer dans un très beau lieu, une chapelle dans le Vercors. Il m'a écrit aujourd'hui qu'ils avaient décidé d'annuler, parce que l'organisation était en train de devenir un sujet massif d'angoisse pour eux deux, parce qu'ils vieillissent, qu'ils ont des problèmes de santé, chacun au moins une opération à venir dans les mois prochains, sans en connaître encore la date, etc. Je comprends très bien qu'ils renoncent, mais ça m'a fichu un coup au moral.

C'était un beau projet, cette expo, et ça me faisait envie. D'aider ma mère à choisir dans la multitude de ce qu'elle a créé depuis 40 ans. D'aller aider à l'accrochage. De voir la famille et les amis réunis autour d'elle et de tout ce qu'elle a fait de beau. Et leur vieillissement m'entame aussi beaucoup ces derniers jours. Le rétrécissement de la vie. La perte d'autonomie et de liberté. Pas juste physique, mais mentale. Mes parents ont passé toute leur vie de couple à se lancer ensemble dans des projets un peu fous, un peu démesurés, toujours un peu hors des clous, pour faire du beau, pour penser des choses, pour fabriquer du vivant. Je crois que sous cette forme-là, c'est terminé. Il en restera d'autres, moins ambitieuses, et pas moins intéressantes. Mais ils font, il me semble, en accéléré, le deuil de plein de choses qui étaient eux, et je me retrouve à le faire avec eux. Un peu à l'arrière plan, parce que ce n'est pas de moi qu'il s'agit, mais douloureusement, quand même, parce c'est une part importante et constitutive de mon histoire.

Il y a eu une tentative, une tension pour faire, organiser, créer du beau, encore une fois.
Et il faut reculer.
C'est la vie. Et c'est un peu nul, sur ce coup-là.

lundi 8 janvier 2024

8 janvier - Aujourd’hui une question lue, quelque part

Je n'ai pas pu lire mes mails après midi aujourd'hui, et quand j'ai rouvert ce soir, une avalanche de trucs sont tombés.

Dont une question d'un collègue administratif du service qui fait le soutien aux directions de département (et qui nous aide notamment sur l'organisation des conseils, la rédaction des comptes-rendus, etc.).
Il voulait savoir si on pouvait rajouter en dernière minute un point à l'ordre du jour du prochain conseil, pour qu'une autre collègue vienne présenter le service de la réussite étudiante, parce qu'elle a l'impression qu'on (tous les départements, pas juste nous)ne les connaît pas bien. Elle n'a pas tort, et sur le principe c'est une très bonne idée.

Juste, là, j'ai lu le message à 21h30, ça concerne une réunion qui a lieu demain à 14h, qui va compter une session plénière et une session restreinte, toutes deux déjà bien bien pleines. Chuis pas ravie. On va finir à pas d'heure, et mon mec est en réunion aussi, donc il peut pas récupérer les gamins non plus.

Bon, mais la bonne (!) nouvelle, c'est que je suis même pas sûre que le conseil puisse avoir lieu. Plein de collègues ont annoncé ces derniers jours qu'ils ne pourraient pas être là, et je n'ai pas vu passer beaucoup de formulaires de procurations. Je ne suis pas sûre qu'on ait le quorum..

(Non, en vrai c'est pas une bonne nouvelle, ça voudrait dire qu'il faudrait voter des trucs par mail en urgence, et que la réunion suivante serait *encore* plus chargée).

J'ai répondu "oui sur le principe, mais faudra faire court", et en gros, qu'on verrait demain sur place :)
Au pire, si on n'est pas assez nombreux pour voter les trucs très-très-importants, on pourra ptet juste enfin prendre le temps de discuter des trucs qui passent après tout le reste (genre: la réussite étudiante).

samedi 6 janvier 2024

6 janvier - Aujourd’hui que deviendra cet enfant plus tard ?

Parfois, comme tous les parents, je me demande ce que seront, ce que feront mes enfants plus tard. J'essaye (parfois en vain, on va pas se mentir) d'éviter de trop jouer au jeu des prédictions. D'abord parce que c'est un coup à se planter, et j'aime pas avoir tort :) Et d'autre part parce que c'est aussi un coup à les influencer, et ce serait vraiment nul. Quand je me risque à faire des prédictions (pas devant eux), je vais, cependant, rarement au delà de l'adolescence. J'ai pensé hier, par exemple, qu'entre sa petite tête de bois, son sourire coquinou et sa fréquente flemme aiguë, il allait falloir garder un œil sur l'Étourneau au sortir de l'enfance, et qu'on risquait d'en baver un peu.

Parfois, aussi, je pense à leur avenir sous un angle plus angoissé. Je ne manque pas de raisons, ces temps-ci, de me demander dans quel monde grandiront mes enfants. Comment ils y grandiront, la place qu'on leur y laissera. Ce qu'ils pourront se permettre de devenir.

Peut-être qu'au fond, une bonne petite tête de bois bien solide, une volonté à toute épreuve, pour résister, surmonter tout ce qui va se trouver sur leur chemin, c'est le mieux à leur souhaiter, même si pour l'instant, ça m'agace parfois en tant que mère au bout de sa vie...

D'ici là, il faut travailler à les équiper pour pleins de futurs possibles (quelle responsabilité!) sans perdre de vue que ce n'est pas de moi que dépend l'intégralité de leur bien-être futur (quelle anxiété!).

Bon. Va te coucher, on verra bien demain où on sera.

vendredi 5 janvier 2024

5 janvier - Aujourd'hui acheté

Hier après-midi, mon fils s'est rappelé avec désespoir qu'il n'avait plus aucun sablés de Noël ramenés il y a deux semaines de l'école, vu qu'il en avait mangé une partie avant de partir en vacances, et avait généreusement distribué les trois derniers au reste de la famille. J'ai acheté ma tranquillité en lui promettant de faire des sablés avec lui aujourd'hui.

Il avait zappé, mais mon mec s'est fait une joie de lui rappeler tout à l'heure en fin d'après-midi, alors que j'étais pas très motivée, que le petit devait lui même encore prendre son bain, qu'il fallait préparer le repas, etc. Je me suis exécutée quand même, parce que je n'ai (presque) qu'une parole. La confection des sablés ne s'est pas trop mal passée finalement, mais on a mangé assez tard, le gamin était pas bien et relou, et pour couronner le tout, je me suis brûlée en sortant la deuxième fournée.

Une toute petite cloque, mais ça fait mal, cette connerie.

dimanche 29 janvier 2023

À tous vents

On me dit parfois que je suis opaque, difficile à lire. J'ai pourtant, moi, l'impression d'être ouverte à tous vents. Mes émotions qui suintent ou débordent. Ma porosité à celle des autres aussi, ou leurs idées. Il m'est souvent difficile de savoir où je commence, où je m'arrête, si ce que je pense est à moi ou non. Difficile de me confronter à l'opinion de quelqu'un d'autre sans que la mienne s'effrite. De privilégier mes besoins, parce que tu sais, mais, ceux des autres, là.

L'histoire de l'opacité, cependant, ne sort pas de nulle part. J'ai aussi beaucoup protégé ce qui pouvait, ce qui devait l'être. Mes mouvements de dépression, notamment, et mes mouvements d'avidité. La colère, aussi, jusqu'à il y a peu. Pour résumer, les choses trop honteuses et trop précieuses et trop sales et trop essentielles et trop dangereuses et trop fragiles pour être confiées à n'importe qui.

J'oscille depuis toujours entre la tentation de la fusion et celle de l'autarcie. Et je sais, depuis longtemps, qu'il ne m'est pas simple d'entretenir des relations amicales ou amoureuses équilibrées et approfondies, parce qu'aucune de ces deux positions ne le permet. Je me raconte assez facilement, pourtant. Beaucoup d'histoires, de faits, de récits. Mais avec beaucoup de gens, j'ai l'impression de retenir un truc indéfinissable, qui serait "moi", plus que la collection de récits qui me décrivent... Pour faire diversion, ou pour disparaître partiellement, ou parce que ça me donne l'illusion d'être essentielle pour l'autre, j'ouvre en grand. Les oreilles, le cerveau, l'empathie. J'abolis mon enveloppe déjà trop perméable, avec une espèce de jeu de miroirs, qui invite à se déverser en moi, tout en refusant ce "vrai moi" à la personne en face de moi.

Et parfois, elle a effectivement ce besoin-là. Et me remplit d'elle-même. De son mal-être, en général, faut pas se leurrer. Pour moi, ça fait un truc pulsionnel; excitant, très addictif, aussi. Disparaître, ensevelie sous l'autre, son psychisme. Et en même temps, je peux être un peu brutale, dans ce moment de fusion. Rentrer dans la personne en face.
Je finis de temps en temps par mal supporter cette asymétrie, d'ailleurs, et par me sentir amère de ne pas être écoutée, qu'on ne soit pas là pour moi. De ne pas avoir de réceptacle dans lequel verser mes propres trop-pleins. Mais je sais que ce n'est pas facile, de m'entendre, une fois que cette configuration s'est installée. Et c'est compliqué d'en sortir, autrement que par une rupture ou un abandon.
C'est encore plus compliqué (et rare dans mon histoire, heureusement), quand je me perds dans mon propre labyrinthe et m'immerge complètement dans le fusionnel, sans plus rien protéger, ni maîtriser.

Par chance, souvent, la personne en face est autant sur ses gardes que moi. On reste alors en surface, et c'est plus confortable, d'une certaine façon. Plus facile, plus léger. J'ai eu des périodes où je n'avais que des relations de copinage de ce type. Mais si je me heurte à une crise, je suis seule.

Quelquefois, aussi, l'autre est un peu plus fin·e que moi, ou un peu plus solide, ou un peu plus serein·e. Refuse de s'engouffrer dans les ouvertures béantes et invitantes, et attend patiemment que s'ouvrent les petites fenêtres plus discrètes. Ce qu'il y a derrière est peut-être moins séduisant, mais moins fou, moins violent, et plus vrai. Ou plus "moi", disons. Avec mes besoins réels, mes frontières, que ce type de relations fait réapparaître.
Des gens qui me consolident, en somme. Qui rendent plus claires les limites entre dedans et dehors. Qui m'autorisent à les rencontrer autrement que sur le mode du déferlement.

C'est pas très juste d'exiger ça, mais: gens solides qui ne perdez pas des bouts de vous-mêmes à chaque mouvement, étayez-nous.

jeudi 12 janvier 2023

La pente

Il faudrait se laisser glisser, rouler, couler.
Suivre la pente en douceur.

Mais la pente n'est pas douce.
Elle est dure, et casse-gueule.
Tu crois que descendre, c'est plus facile que de monter?
Saloperies de petits graviers qui te roulent sous les pieds.

Et tu ne sais pas si en bas, c'est la terre ferme, ou le fond du gouffre.
Si tu vas reprendre pied ou te noyer.

T'as quoi à y gagner?
De la sérénité.
Peut-être.

T'y vas, mais c'est heurté.

mardi 25 octobre 2022

Se reposer

"Repose toi"

"Il faudrait que vous fassiez du sport. Vous marchez, vous n'êtes pas sédentaire, mais il faudrait que vous fassiez du sport pour vous détendre."

"Allez marcher, faites des promenades."

"Faut faire du renforcement musculaire, pour ne plus te coincer le dos systématiquement."

Tout mon entourage familial, amical, réseau-social, médical, semble d'accord sur les solutions. Pour aller mieux. Il faut que je me repose, que je prenne du temps pour moi, que je lâche prise, que je fasse du sport.

J'entends bien. Je suis même d'accord sur le fond. Je voudrais juste bien savoir quand. Qui me libèrera du temps pour ça. Et qui me donnera le sentiment que je PEUX prendre ce temps, quand j'en ai besoin.

Il y a quelques semaines, j'ai dit non à un collègue qui me demandait de remplacer quelqu'un au conseil de laboratoire (mensuel). Ou plus exactement j'ai commencé à louvoyer, c'est le jour que j'ai bloqué pour la recherche, et j'ai mal au pied depuis des semaines, je ne peux pas promettre de pouvoir faire le trajet. Il m'a dit "D'accord. On n'est pas là pour esclavagiser les gens". J'en ai pleuré. Tellement c'est rare qu'un collègue entende et admette que je puisse dire non. Tellement c'est rare de ne pas avoir à batailler pour préserver dix minutes de mon temps.

La plupart de ces collègues ne sont pas d'horribles esclavagistes. Juste des gens eux-mêmes surchargés de travail. Qui veulent que la maison, les maisons en fait (le labo, la section, le département, l'établissement), tournent. J'en fait sans doute partie moi-même. Les mails jusqu'à minuit, les textos, les contraintes intenables, les délais, les transferts de charges administratives pour faire des économies de bouts de chandelles. Les collègues (souvent copains ou copines) qui me souhaitent du repos sont en partie les mêmes que celles et ceux qui font peser sur moi des contraintes. Et j'en fais peser sur eux aussi. Et chaque fois qu'un maillon lâche, la chaîne se tend pour tous les autres.

Mes enfants voudraient une maman qui crie moins, mais ont du mal à supporter que je puisse avoir besoin de temps sans eux. Ça peut se comprendre: ils ont 3 et 6 ans, et sont déjà assez autonomes. Objectivement, ils ne sont pas tout le temps sur mon dos, ils se gèrent pas si mal. Ils ont juste un sixième sens pour se coller à moi dans les moments où je suis sur le point d'exploser.

Je le sais bien que c'est difficile de demander à des enfants de se passer de leur mère.


Mon amoureux m'encourage à me reposer, à prendre du temps pour moi. Il prend tant d'heures par semaine pour ses besoins à lui, je devrais faire pareil. On s'arrangera. Mais dans les deux jours qui suivent la conversation, deux preuves éclatantes que dans les faits, ça n'est pas possible. Et une semaine plus tard, rebelote pour l'organisation des vacances. Il faut aller quelque part, et faire quelque chose ensemble, quand je voudrais juste pouvoir dormir toute la journée.

Lui aussi est au bout du rouleau, je le sais bien. Je le sais bien que si je m'arrête, tout lui retombe dessus. Il a besoin aussi de certaines choses, pas les mêmes que moi. Bon.


Alors moi, je veux bien, réorganiser mes routines de travail dysfonctionnelles. Arrêter de consulter mes mails au petit matin, tard le soir, le week-end. Prendre des anxiolytiques le temps que la vague passe. Retourner voir une psy moins d'un an et demi après avoir arrêté l'analyse. Faire trois-quatre dessins et deux balades pendant mes trois semaines d'arrêt.

Mais je voudrais qu'on arrête de faire semblant. De prétendre qu'il suffit que JE prenne soin de moi, et que le monde acceptera de se réorganiser autour de moi. Que je peux bosser uniquement à des horaires décents et abattre le travail attendu de moi. Que je peux dormir quand j'en ai besoin. Sortir et voir des gens quand j'en ai besoin. Être seule quand j'en ai besoin. Prendre des vacances vraiment reposantes pour moi. Ne recevoir des gens chez moi que quand je suis en état de les accueillir.

Qu'on arrête de faire comme si le temps était extensible.

Qu'on arrête de me dire de prendre soin de mon corps qui fout le camp par tous les bouts, comme s'il encaissait pas en continu depuis 12 ans le stress, la fatigue, les grossesses et fausses-couches, les déménagements. Comme si c'était juste moi qui le bichonne pas assez.

Et qu'on arrête de faire comme si c'était un problème individuel, et non pas social. Personnel, et non pas global.

"Fais du sport, ça ira mieux".

Allez vous faire voir, en fait.

mercredi 10 juin 2020

Dur

Il y a encore une dizaine de jours, je me disais que je vivais nettement mieux la situation "COVID" que d'autres, que j'avais de la chance. Le confinement avait été un peu compliqué côté boulot, et y avait eu une période dure avec le Moineau, mais bon an mal an, on s'était arrangés pour faire tourner la baraque, avec une organisation un peu militaire de l'emploi du temps, heure par heure. J'y trouvais mon compte, repliée dans mon intimité familiale, avec mon amoureux et mes enfants, mes fleurs et mes plants de tomates.

Depuis dix jours, on souffre. On est débordés. La maison part en cacahuète. Deux chiottes qui fuient, deux points d'eau qui se bouchent. Le bordel qui s'accumule et que je n'arrive plus à résorber. Le bébé qui se déplace de mieux en mieux et porte tout à la bouche, qu'il faut surveiller comme le lait sur le feu. La montagne de linge. La copro dont on est syndics et qu'on arrive pas à suivre (il faudrait organiser une AG, on arrive pas à s'y mettre, ni même à faire l'appel de fonds annuel.). La maison crade. Rester à peu près propres tous les 4. Je parle même pas du jardin. Mon beau-frère agent immobilier s'est ramené avec une super baraque trop chère pour nous qu'il voudrait qu'on achète, alors qu'on avait prévu de ne changer de maison que dans un an. Ça nous a fait rêver, un peu, mais outre la question de l'argent, juste l'énergie qu'il faudrait pour bousculer nos plans, pour rendre la maison présentable et vendable, ça me paraît insurmontable.

Les nuits sont mauvaises, aussi, ça n'aide pas.

J'arrive à bosser, à peu près. Mais il n'y a aucun répit possible avant, je pense, la fin juin, ou la première semaine de juillet. Il faut finir un article, reprendre les emplois du temps, s'occuper des rattrapages, faire une synthèse de ce qui a posé problème aux uns et aux autres pour préparer la rentrer. Préparer des cours en mode hybrides aussi. Et puis des réunions. Un colloque auquel je voudrais assister (en visio), ça me ferait vraiment plaisir, mais ça prend du temps, je ne sais pas si je vais pouvoir.

Il y a deux jours, on a appris que la maîtresse du Moineau venait d'être mise en arrêt maladie, jusqu'à la fin de l'année. Le message était très court, assez impersonnel, ne lui ressemblait pas. Ça pue le burn-out, bien plus que le covid. Je suis inquiète pour elle, et désolée pour nous, parce que ça fait un soutien psychologique de moins. Il va falloir trouver seuls de quoi faire bosser la gamine. J'avais plein d'idées, il y a quelques semaines, quand j'étais encore capable de faire fonctionner mon cerveau. Là: ça me paraît horriblement compliqué, d'un coup.

Nawimba est patraque depuis quelques jours. Très fatigué, plus que moi encore. Il a fini par consulter, et bien sûr, avec une sinusite, des céphalées, un léger essoufflement, des vertiges, il a été mis en quarantaine, et doit aller faire un test PCR. Ce qui veut dire, si jamais il ne parvient pas à faire le test, ou que le test est positif, qu'on repart pour une deuxième période de confinement strict (on a déjà eu le même truc en mars, 14 jours sans sortir du tout). Que ça va être compliqué pour moi d'aller chercher le bouquin dont j'ai besoin à mon labo (à 1h15 en transports en commun de chez moi). Que si j'y vais, je vais devoir le laisser seul avec les enfants, alors qu'il a la tête qui tourne la moitié du temps. Qu'il est impossible de demander de l'aide à mes beaux-parents, qui ne demanderaient pourtant pas mieux que de venir s'occuper des enfants.

J'aurais besoin d'une pause. De dormir. D'avoir un peu moins mes enfants cramponnés aux basques. Que quelqu'un d'autre que nous s'occupe de la bouffe, du ménage, de la lessive, du jardin, de nos boulots. Que le concours de Nawimba soit derrière lui, et pas dans 4 semaines. Et tout ça est inatteignable pour le moment.

Je vais répéter ce que je disais tout à l'heure à quelqu'une qui passera peut-être par ici: En plus des grandes tragédies personnelles et économiques, y a beaucoup, beaucoup, de "petites violences" qui s'accumulent, là (pas que chez moi, hein. Dans mon entourage, y en a des conversations pleines).

C'est dur.

jeudi 4 juin 2020

Faire du lien

Tout à l'heure, j'ai eu longuement au téléphone un étudiant qui a planté son semestre (et un peu son année, en fait), pour plein de raisons, le confinement n'étant que la goutte d'eau qui a fait déborder un vase déjà bien rempli. Je ne peux évidemment pas changer grand chose à son cadre de vie, à sa situation financière, à son mal-être. Mais j'ai essayé de dénouer un peu l'écheveau du côté universitaire, tout en ayant l'impression de m'y prendre bien tard. J'ai l'impression que si j'avais pris le taureau par les cornes plus tôt, j'aurai peut-être pu lui éviter de se crasher cette année, le rattraper au vol avant que la démotivation et les difficultés le fichent par terre. Le congé maternité d'un semestre, et le confinement, et son absentéisme entre les deux n'ont pas aidé, c'est vrai, mais j'avais des échos par des collègues qui auraient dû m'alerter.

Un truc que j'ai discuté avec lui était le fruit d'une autre conversation, avec mon amoureux, il y a quelques semaines (à propos de ce même étudiant). Nawimba me racontait comment, venu comme mon étudiant de banlieue, et arrivé dans le petit monde universitaire parisien comme un chien dans un jeu de quille, il avait mis des années avant de comprendre qu'à l'université, et en particulier, dans cet établissement où je bosse, dans cette toute petite licence, les étudiants et les enseignants devaient travailler ensemble. Pas chacun dans sa direction. Pas les uns contre les autres. Que chacun ne fait pas sa vie de son côté, mais qu'on vit et progresse ensemble. Il me disait qu'il l'avait compris très tard, et que ça avait d'une certaine façon fondé sa façon d'être, à son tour, prof. Son rapport aux élèves, aujourd'hui. Ça m'a frappée, cette conversation, parce que ça n'a rien à voir avec ma propre expérience d'élève ou d'étudiante. J'aurais eu du mal à réaliser ça toute seule s'il ne me l'avait expliqué. Moi, à six ans, j'étais déjà plus douée pour créer du lien social avec les instits qu'avec mes camarades. J'étais la bonne élève type, avide justement de dissoudre la barrière entre enseignants et élèves. Avec beaucoup d'entre eux, et en particulier à l'université, j'ai eu un comportement cherchant à créer de la connivence (ce qui est sans doute aussi problématique, d'une autre façon, j'en sais rien). Et ça reste évidemment très prégnant dans mon habitus et mes pratiques d'enseignante.

Alors avec mon étudiant, tout à l'heure, je suis partie de ça. Je lui ai dit que malgré le côté un peu froid de certains collègues, trop "professionnels" pour laisser entendre qu'ils sont affectés par des comportements qu'ils perçoivent comme irrespectueux, ou par l'échec des étudiants; malgré le mécanisme de la notation qui fout parfois un peu le bordel et maintient une apparence de hiérarchie là où il ne devrait pas y en avoir: les enseignants sont là pour ( et uniquement pour, de mon point de vue,) faire progresser les étudiants.Qu'on pouvait s'adapter à ses besoins (un des avantages d'un très petit effectif). Et que personnellement, j'étais prête à beaucoup bosser avec lui pour l'aider à valider sa licence, et que mes collègues aussi, mais qu'on ne pouvait pas ramer seul(e)s. Et qu'il pouvait aussi choisir de ne pas continuer, que tout dépendait de ses envies et de ses possibilités.

Je ne sais pas s'il sera encore là l'an prochain, mais je crois qu'il m'a entendue.

Maintenant, faudrait que j'arrive à expliquer l'autre face du schmilblick, la sienne, à mes collègues. Pas facile-facile non plus. J'ai failli faire chialer une collègue l'autre jour en réunion, en disant qu'il allait falloir faire très attention à l'aspect "vie de promo" au semestre prochain, où nous serons encore essentiellement en distanciel. C'était pas juste ma remarque, en fait: elle bouillait déjà depuis un moment parce que l'organisation de la rentrée, les emplois du temps mixte, les enseignements à repenser, après un semestre déjà pas simple, ça faisait déjà beaucoup. L'idée de faire l'animation et trouzemille trucs en plus lui semblait insupportable, ce que je peux comprendre.

Mais je n'en démords pas, en particulier pour ma petite section (on est en général 20, enseignants et étudiants, à tout casser): il va falloir travailler à souder les étudiants et les enseignants, les étudiants entre eux, au sein d'un même niveau et entre les niveaux. Encore plus que d'habitude. Et que vogue la pirogue :)

dimanche 3 mai 2020

Du mauvais pied

Ce matin, réveil à 8h23, le bébé pleurait (première nuit entière passée dans la même chambre que sa soeur, moyennant deux interruptions-tétées, yay!).

A 10h04, j'ai pu prendre la première bouchée de mon petit déjeuner.

Entre temps, j'ai (ordre approximatif):

  • donné le sein à l'Etourneau
  • joué avec lui pendant que son père comatait à côté de nous,
  • levé le Moineau, dont la couche avait débordé
  • nettoyé la gamine
  • habillé la gamine
  • enlevé les draps de son lit
  • vidé la machine à laver d'hier, trié le linge qui va au sèche-linge et celui qui n'y va pas
  • lancé une lessive à 60° (non sans avoir remonté l'escalier parce que l'autre drap, dans lequel la couche avait débordé hier était dans le panier du haut).
  • étendu le linge
  • lancé le sèche-linge
  • lancé un lave-vaisselle (à tort, en fait, il était propre, juste pas vidé).
  • rapatrié près du lave-vaisselle toute la vaisselle qui restait encore dans la cuisine et dans la salle à manger
  • nettoyé un bout du plan de travail
  • préparer le chocolat du Moineau
  • préparé les boules à thé pour Nawimba et moi
  • essuyé les fesses de la gamine après son passage aux toilettes
  • nettoyé la table
  • vidé le lave-vaisselle avec Nawimba
  • rechargé le lave-vaisselle
  • mis la table du ptit déj
  • réussi à préparer mon demi pamplemousse (c'est pas que j'en avais super envie, mais on en a eu deux fois de suite dans les paniers de légumes commandés à Rungis, et personne d'autre n'aime ça dans la famille.
  • fait une première tartine au Moineau,
  • essayé de sauver un plant de tomate subclaquant en le ré-enterrant plus profondément dans son pot pour qu'il refasse des racines à partir de la tige
  • déplacé l'arche du bébé qui s'énervait pour voir si ça allait mieux avec un autre jouet
  • fait une deuxième tartine au Moineau.

Pendant ce temps, j'ai aussi:

  • réussi à aller pisser et m'habiller, quand même
  • lavé mes mains un nombre important de fois
  • shooté au moins trois fois dans les roues du caddie de courses qu'on ne peut pas ranger à cause du bordel qui s'entasse à sa place habituelle
  • rouspété et juré un nombre incalculable de fois
  • écouté, d'une oreille distraite mais légèrement envahie, le Moineau me raconter en boucle toutes les aventures nocturnes de l'ensemble de ses amis imaginaires, qu'elle éprouve le besoin de lister en entier à chaque phrase.

T'en foutrai, des "morning routines" épanouissantes qui te donne du peps et de la bonne humeur pour toute la journée.

Bon,c'est pas tout ça, je vais aller plier du linge, préparer des compotes pour le bébé, et mettre des boutons-pression aux bavoirs dont les scratchs sont fatigués.