dimanche 29 janvier 2023

À tous vents

On me dit parfois que je suis opaque, difficile à lire. J'ai pourtant, moi, l'impression d'être ouverte à tous vents. Mes émotions qui suintent ou débordent. Ma porosité à celle des autres aussi, ou leurs idées. Il m'est souvent difficile de savoir où je commence, où je m'arrête, si ce que je pense est à moi ou non. Difficile de me confronter à l'opinion de quelqu'un d'autre sans que la mienne s'effrite. De privilégier mes besoins, parce que tu sais, mais, ceux des autres, là.

L'histoire de l'opacité, cependant, ne sort pas de nulle part. J'ai aussi beaucoup protégé ce qui pouvait, ce qui devait l'être. Mes mouvements de dépression, notamment, et mes mouvements d'avidité. La colère, aussi, jusqu'à il y a peu. Pour résumer, les choses trop honteuses et trop précieuses et trop sales et trop essentielles et trop dangereuses et trop fragiles pour être confiées à n'importe qui.

J'oscille depuis toujours entre la tentation de la fusion et celle de l'autarcie. Et je sais, depuis longtemps, qu'il ne m'est pas simple d'entretenir des relations amicales ou amoureuses équilibrées et approfondies, parce qu'aucune de ces deux positions ne le permet. Je me raconte assez facilement, pourtant. Beaucoup d'histoires, de faits, de récits. Mais avec beaucoup de gens, j'ai l'impression de retenir un truc indéfinissable, qui serait "moi", plus que la collection de récits qui me décrivent... Pour faire diversion, ou pour disparaître partiellement, ou parce que ça me donne l'illusion d'être essentielle pour l'autre, j'ouvre en grand. Les oreilles, le cerveau, l'empathie. J'abolis mon enveloppe déjà trop perméable, avec une espèce de jeu de miroirs, qui invite à se déverser en moi, tout en refusant ce "vrai moi" à la personne en face de moi.

Et parfois, elle a effectivement ce besoin-là. Et me remplit d'elle-même. De son mal-être, en général, faut pas se leurrer. Pour moi, ça fait un truc pulsionnel; excitant, très addictif, aussi. Disparaître, ensevelie sous l'autre, son psychisme. Et en même temps, je peux être un peu brutale, dans ce moment de fusion. Rentrer dans la personne en face.
Je finis de temps en temps par mal supporter cette asymétrie, d'ailleurs, et par me sentir amère de ne pas être écoutée, qu'on ne soit pas là pour moi. De ne pas avoir de réceptacle dans lequel verser mes propres trop-pleins. Mais je sais que ce n'est pas facile, de m'entendre, une fois que cette configuration s'est installée. Et c'est compliqué d'en sortir, autrement que par une rupture ou un abandon.
C'est encore plus compliqué (et rare dans mon histoire, heureusement), quand je me perds dans mon propre labyrinthe et m'immerge complètement dans le fusionnel, sans plus rien protéger, ni maîtriser.

Par chance, souvent, la personne en face est autant sur ses gardes que moi. On reste alors en surface, et c'est plus confortable, d'une certaine façon. Plus facile, plus léger. J'ai eu des périodes où je n'avais que des relations de copinage de ce type. Mais si je me heurte à une crise, je suis seule.

Quelquefois, aussi, l'autre est un peu plus fin·e que moi, ou un peu plus solide, ou un peu plus serein·e. Refuse de s'engouffrer dans les ouvertures béantes et invitantes, et attend patiemment que s'ouvrent les petites fenêtres plus discrètes. Ce qu'il y a derrière est peut-être moins séduisant, mais moins fou, moins violent, et plus vrai. Ou plus "moi", disons. Avec mes besoins réels, mes frontières, que ce type de relations fait réapparaître.
Des gens qui me consolident, en somme. Qui rendent plus claires les limites entre dedans et dehors. Qui m'autorisent à les rencontrer autrement que sur le mode du déferlement.

C'est pas très juste d'exiger ça, mais: gens solides qui ne perdez pas des bouts de vous-mêmes à chaque mouvement, étayez-nous.

jeudi 5 mai 2022

Bercail

Quatre jours chez mes parents, sans Nawimba ni les enfants.


Trajet tranquille. Une chanson dans la tête, tant d'années plus tard.

Retrouvailles.

L'odeur de la lessive de ma mère. La saveur des choses pas goûtées depuis longtemps.

Nuits hachées. Tirer sur la corde. Tirer, tirer, tirer.

Des fleurs, la végétation. Folle puis moins folle. L'explosion, les couleurs. L'odeur de menthe sur mes doigts.

Des nouvelles des oiseaux du coin et des souvenirs des amis lointains.

La création débridée des deux dernières années. Du beau. Du caché. Des boites dans des boites, des plis dans des plis. L'os dans l'ocre, l'or dans l'encre.

Beaucoup de mots.

Lui. Lui. Elle. Eux. Lui et sa toute petite aussi.

La lumière dans les peupliers. Le bruit de la chute d'eau.

Lâcher prise. Soupirer. Rire.

Épuisée. Et plus sereine que je ne l'ai été depuis des semaines, après ce retour au bercail.

mercredi 17 novembre 2021

Madame M

J'ai appris il y a quelques jours le décès de Madame M. C'était mon instit' en primaire. Du CE2 au CM2, plus exactement. Ma famille vivait dans un village en Isère pendant mon enfance, et dans la petite école du coin, il y avait deux classes, l'une à deux niveaux, l'autre à trois. Elle avait les "grands". Et elle était très importante pour moi, à l'époque, et ensuite.

Elle a été ma première "rencontre avec un·e enseignant·e". On lit parfois des témoignages de gens dont la vie d'élève ou d'étudiant·e a été changée par la rencontre avec un·e prof, un jour. C'est souvent un peu.. too much, dans le ton. Mais oui, quelque chose dans ce goût là. Une vraie bonne enseignante. Bienveillante. Exigeante. Protectrice un peu, avec la gamine douée à l'école, mais qui comprenait rien aux gens. Mais pas trop non plus, je crois. Juste ce qu'il fallait.

Une première figure de ce que c'était que de bien être prof (en tout cas la première à l'extérieur de ma famille).

On a déménagé juste avant mon entrée au collège. Je l'ai revue une ou deux fois par la suite, quand je revenais voir des copines au village. Mais surtout, on a correspondu, pendant des années. Elle écrivait, à cette gamine qui avait peine 10 ans au départ, des longues lettres, avec son écriture élégante d'instit, sur du beau papier. La première correspondance d'adulte ("avec une adulte" serait sans doute plus juste) que j'ai eue.

Et puis la relation s'est un peu étiolée, pendant mon adolescence.

Je lui ai réécrit, bien plus tard. Quand j'étais en prépa, je crois, ou peut-être même plus tard. En demandant si je pouvais la voir. Elle m'a répondu.

Et je n'ai pas compris la réponse. J'ai lu la lettre, et cru comprendre qu'elle ne voulait pas me voir, parce qu'elle voulait que je garde le souvenir que j'avais d'elle, et pas celui d'une vieille dame. Je ne sais même plus si j'ai répondu après cette dernière lettre.

Mais j'ai pensé souvent à elle. Au moment des grandes étapes. Ma soutenance de thèse. Ma prise de poste. Mes enfants.

Je suis retombée sur sa dernière lettre, il y a quelques mois. Et j'ai réalisé que j'avais mal compris. Qu'elle avait peur effectivement de mon regard sur elle âgée, mais que dans sa lettre, elle me disait qu'elle aurait bien voulu me revoir. Je me suis sentie très très bête. Et très mal. J'ai essayé de voir si elle habitait toujours au même endroit, mais apparemment non. Et puis dans le maelström de la vie, j'ai lâché l'affaire.

Et elle est morte, samedi dernier.

Je crois l'avoir beaucoup remerciée, quand j'étais enfant. Avec des mots d'enfant. Mais je regrette de ne pas lui avoir dit, en tant qu'adulte, avec mes mots d'adulte, à quel point elle a été une figure importante pour moi. Une personne importante.

C'est ni plus ni moins vrai maintenant qu'il y a une semaine, évidemment. Mais le putain de sentiment de gâchis.. (Classique, hein. J'ai pas la prétention d'être originale, sur ce coup là.).

Et le deuil, plus de 25 ans après l'avoir vue pour la dernière fois.

Pendant que je sanglotais au téléphone lundi, ma mère m'a dit que d'être devenue la prof que je suis, de la façon dont je le suis, c'était aussi une façon de dire au monde que cette dame là avait été importante pour moi. Ça n'a pas vraiment calmé la crise de larmes, sur le coup.

Mais peut-être que c'est vrai. Ptet qu'à défaut de le lui avoir dit, c'est ça, la chose à faire avec mon souvenir de madame M. Faire de mon mieux pour être, pour d'autres, ce qu'elle a été pour moi.

J'te raconte pas la pression.

dimanche 24 octobre 2021

Les gens

Dans le corpus d'idées moches ou pas fun, et en tout cas fausses, que je me suis longtemps trimballées à propos de moi-même, il y avait notamment "j'aime pas les gens".

Je disais il y a quelques jours à l'un d'entre vous que, la plupart de mes relations amicales étant entretenues par le biais d'internet, je n'avais pas tant souffert que ça, socialement, des deux dernières années. Certaines de mes connaissances ont failli crever de solitude, je le sais. Et ce n'était pas mon cas.

Cela dit, je dois bien reconnaître ces derniers temps, à plein d'indices, et notamment à mon avidité à l'idée de rencontrer IRL des gens connus sur les réseaux sociaux, que ça m'a manqué.

Les gens.