À propos d'Angkel Jimmy

J'ai appris aujourd'hui le décès de Jimmy Brown Moerös Lumgep. Pour moi, il était Angkel Jimmy, "Oncle Jimmy".

Il avait un peu moins de 60 ans, je pense. J'ai habité chez lui, avec sa famille, à Show Graon, plusieurs fois quelques jours, en 2013, 2015, et à nouveau l'été dernier. Sur ce dernier terrain, il m'a récupérée deux fois parce que mes avions ont été annulés. Il m'a emmenée dans le bush pour voir sa femme et sa belle-fille, et c'était trop chouette.
C'était un filou, Angkel Jimmy. Un peu un loser magnifique, aussi. Beaucoup de bagout, assez grande gueule, pas toujours beaucoup de succès. Dur au travail, quand même, mais cramant un peu la vie par les deux bouts les soirs et les week-ends. Un buveur de kava comme j'en ai rarement vu. J'aimais bien boire un ou deux shells avec lui, mais évidemment, je ne pouvais jamais suivre la cadence..

Jimmy Brown (photo de Salyn Brown), juin 2024

Il écoutait beaucoup les gens, et il transmettait ce qu'il avait entendu. Il racontait des histoires, tout le temps. Il composait des chansons. Je regrette de ne pas l'avoir enregistré davantage en train de les chanter. J'ai réalisé en 2013 ou 2015 qu'il était l'auteur d'une chanson que j'avais apprise à Maewo en 2007, bien avant de le rencontrer. Oui, parce qu'Angkel Jimmy, c'était un gars de Mere Lava, mais élevé à Maewo. Je pouvais switcher entre les deux langues avec lui, et il était un très bon informateur, dans les deux cas.
Il avait eu deux enfants, je crois, avec une femme de Maewo, mais quand vers trente ans, il est "retourné" à Mere Lava (les communautés issues de Mere Lava gardent un lien fort avec cette petite île, et même si les gens n'y sont pas nés et n'y ont jamais vécu, ils la considèrent comme leur "home peles", bien souvent), il est tombé amoureux d'une jeune femme de 10 ans plus jeune que lui, Baith. Il a tout plaqué pour l'épouser. Ça a dû faire toute une histoire, j'imagine, parce que lui, je l'appelle "oncle", mais elle, je l'appelle "tawi" (cousine croisée), ce qui signifie qu'ils n'ont pas respecté les règles de la parenté. Du coup, c'est rigolo pour moi, parce que leurs enfants ne savent jamais si ils doivent m'appeler "tante" ou "cousine".
Baith, je l'aime beaucoup, aussi. Elle fait partie d'une famille de Mere Lava avec qui j'ai des liens affectifs forts. Sa sœur est la première à m'avoir hébergée là-bas, son petit frère est un de mes informateurs et amis.

Baith et Jimmy ont eu 6 enfants, tous très chouettes. Iels étaient petit·e·s quand je les ai rencontré·e·s, j'ai enregistré plusieurs d'entre elleux à Mere Lava et à Santo, en 2013 et 2015. C'était beau, de les retrouver l'été dernier, de voir comment iels étaient devenus ados et adultes, de rencontrer les enfants des deux plus grandes. De découvrir quelles chouettes personnes iels sont tou·te·s devenus. De rencontrer la petite dernière, que je n'avais vue qu'en photo.

C'est une famille importante pour moi. Je pense fort à eux, ce soir, avec tristesse, et un peu d'inquiétude.

Qong wia, Mou. Wiwia rangai miniko be nonga tuaniana. Nau ni ting tamtamlunga lai giniko.


Edit: J'ai essayé de chanter une des chansons écrites par Angkel Jimmy. J'en ai une version chantée par sa belle-mère, mais je n'ai pas l'autorisation de la diffuser, et ça m'embête. Je ne suis pas très très satisfaite de ma prononciation, ni de la qualité du son, mais: on entend quand même que la mélodie est jolie..

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