Ribambelle d'amis
mardi 5 mai 2020, 10:15 Les ptits piafs Lien permanent
Le Moineau a des amis imaginaires depuis un peu plus d'un an. La première est apparue pendant mon deuxième mois de grossesse, environ 3 semaines après qu'elle a compris (seule) qu'un deuxième bébé était en route. Et a presque magiquement réglé les crises que cette nouvelle avait fait naître. On se faisait juste un peu engueuler parce qu'on s'asseyait sur sa copine invisible. Cette première copine n'avait pas de nom, elle s'appelait "ma copine imaginaire". Un mois après, elle a été rejointe par un "copain imaginaire". Encore un mois après, il y a eu "David" (c'est le prénom d'un petit garçon qui avait été gardé avec elle quelques mois chez la nounou quand elle était toute bébé). Encore un mois après, Pikachu les a rejoints (je ne sais pas si Pikachu est un pokémon, ou un humain...).
Pendant un bon moment, elle est restée avec ces quatre là. David mourait régulièrement, et ressuscitait. La copine et le copain imaginaire avaient chacun un papa décédé (je me rappelle la première fois que le papa de la copine imaginaire est mort: le Moineau en sanglotait presque dans la rue. Top ambiance). La copine vivait avec nous, les autres rentraient chez eux le soir.
A l'entrée à l'école, les amis imaginaires se sont fait plus discrets. Moins besoin, sans doute, et puis les copains d'école fournissaient déjà bien suffisamment d'histoires et de questionnements. Après la naissance de l’Étourneau, un nouveau est apparu dans la bande: Mohamed (du nom d'un petit garçon qui dormait à côté d'elle au dortoir, mais qui n'était pas dans sa classe). David, lui, à ce moment, était définitivement mort. Mohamed est très vite devenu inséparable de Pikachu. Y avait d'ailleurs un truc marrant, dans cette paire, qui était reflétée par une paire de poupées: sa première poupée, qui s'appelait originellement "Poupée" s'est mise à s'appeler "Jeanne" (comme un personnage de Tchoupi), et une autre qui n'avait pas de nom s'est mise à s'appeler "Léa" (comme une petite fille de l'école qui souffle un peu le chaud et le froid, et change d'avis de minute en minute sur le degré d'amitié qu'elle entretient avec le Moineau). Donc y avait "Mohamed et Pikachu", et "Jeanne et Léa". A chaque fois, un personnage de fiction, et une personne réelle.
Au début du confinement, on en était là.
Et là, d'un coup... Elle s'est mise à intégrer à sa liste d'amis imaginaires TOUS les personnages féminins (et deux masculins) des films et dessins animés qu'elle voyait. Au rythme d'un film par semaine environ... Actuellement, si je ne me trompe, il y a:
- Pikachu,
- Mohammed,
- Elsa,
- Anna,
- Vaiana,
- Belle,
- Chiita,
- Satsuki,
- Mei,
- Kiki,
- Heidi,
- Peter,
- Karl,
- Teresa,
- Clara.
Et puis Moriane et Mor-anne. Et la copine imaginaire, qui depuis quelque temps porte comme prénom le surnom du Moineau, au cas où on aurait pas pigé l'identification. (Plus de trace du copain anonyme, par contre). Comme elle éprouve le besoin d’égrener la liste toutes les trois phrases, je commence à bien les connaître. Ils sont princesses, sorcières, héros, enfants, adultes, morts ou vivants, mortels ou gentils.
Ils sont un peu multi-usages. Parfois, j'ai l'impression qu'il s'agit d'une petite armée, qui la protège, et que c'est pour ça qu'elle éprouve le besoin de les lister et de les compter. Ça les consolide, peut-être. Elle m'a demandé si elle pouvait les emmener dans son lit à la sieste, tout à l'heure.
Parfois, ce sont des frères et sœurs. Elle m'a expliqué tout à l'heure, que c'était super, d'avoir plein de frères et sœurs imaginaires, qui ne sont pas petits comme l’Étourneau. Alors je me dis que ça lui sert à ne pas être seule entre nous (elle nous informe de temps en temps que nous sommes les parents de tout ce beau monde, je suis un peu submergée).
Parfois, ce sont des substituts de copains de classe. Pendant que j'écris, par exemple, elle est en train de faire un cours de gym avec toute la bande. Elle les fait passer groupe par groupe, elle leur fait faire des exercices de yoga ("et je veux voir personne baisser les jambes pendant 15 minutes! Et après on se redresse tran-quil-lement"). Tout à l'heure, ils faisaient tous l'étoile de mer sur le tapis, j'ai dû leur faire de la place en poussant tout ce qui gênait. Parfois ils sont plus ancrés dans leurs fictions spécifiques, et elle rejoue avec eux les scènes les plus périlleuses des films.
Ça m'attriste, parfois, parce que je vois bien qu'ils sont une réponse à quelque chose de souffrant, qu'on ne parvient pas à soulager de notre côté. Qu'on ne peut sans doute pas soulager, en fait. Et en même temps, je trouve ça malin, comme solution. Elle est résiliente, ma fille, comme beaucoup de gamins. Ptet qu'on devrait tous en prendre de la graine.
(Je viens de lui dire à l'oreille "je t'aime". Elle m'a demandé de le dire à tous les autres. J'ai dit qu'elle pouvait leur dire de ma part. Elle a murmuré "je t'aime de la part de maman", avant de m'annoncer: ils sont tous collés à ma bouche, ils ont entendu!).
Commentaires
Ça me rappelle quand je "jouais aux animaux" enfant : des petites reproductions d'animaux (sauvages, domestiques et préhistoriques) auxquels j'inventais des histoires. Ça avait commencé plus tard (vers 5 ans), simplement parce que je ne disposais pas des accessoires et qu'avec les poupées s'était moins marrant. Au début c'était d'un peu de souffrance : celle de ne pas savoir encore lire et que personne ne daigne m'apprendre, mais ça n'a pas duré et ensuite c'était clairement pour tenter de comprendre le monde et les comportements des autres à travers les petites fictions. Très vite c'est devenu très élaboré et à mesure des achats (lors de cadeaux d'anniversaires, ou de voyages à Saint-Malo où une boutique en vendait) et ça constituait tout un peuple.
La différence avec le processus de ta fille est qu'ils n'étaient pas mes amis, je n'étais pas dans les histoires, j'étais en position de narrateur "neutre", d'ailleurs certains épisodes se déroulaient d'une façon qui ne me satisfaisait pas comme si c'était les personnages et non pas moi qui décidaient (j'y pense quand tu dis qu'elle pleurait la mort du père d'un ami imaginaire).
Un jour j'ai décidé que c'était bon, j'étais assez âgé, et que je pouvais arrêter.
Je me souviens très bien qu'il n'y avait pas de souffrance, du tout. Je décompressais de mes journées. Les histoires m'amusaient beaucoup, même si elles étaient tristes. Zéro solitude, gros avantage, besoin de personne d'autre (ma sœur était trop petite pour jouer avec moi).
Ça ne m'empêchait pas de jouer fort bien avec des vrais enfants quand on était en présence.
Le seul problème c'était que j'étais de mauvaise humeur si l'on m'interrompait en pleine histoire (c'était comme de me réveiller brutalement).
Le truc c'est peut-être que les interlocuteurs de son âge, quand il y a école et tout ça, ne sont pas à la hauteur. Je me souviens très très bien qu'au début de mes histoires avec les petits animaux, c'était parce que les adultes avaient leur vie et ne m'expliquaient pas assez, et que les enfants de mon âge étaient sympas pour des jeux pour bouger mais que leurs discussions me lassaient. Mes petits personnages étaient à la bonne hauteur. Ni trop comme des grands, ni trop comme des petits.
Voilà, si ça peut aider à ce que tu ne t'inquiètes pas.
PS : Je pense que jusqu'à l'âge de pouvoir lire ou aller jouer dehors, j'ai été très exaspérante pour mes parents.
Merci de ton long commentaire :) Je ne m'inquiète pas spécialement des jeux passionnés avec les amis imaginaires. J'ai juste l'impression que leur multiplication est un signe qu'elle ne va pas très bien. Je sais que ca calmera quand elle pourra reprendre une vie normale, et voir des gens..