Violence

J'ai encore failli taper ma gamine. J'ai transformé le geste en cours de route, l'ai attrapée un peu fort par l'avant- bras au lieu de frapper franchement. Mais le geste était parti. Et elle l'a senti. Elle m'a dit après qu'elle avait eu peur que je lui fasse mal. Moi aussi.

Je suis assez désespérée de ce geste, et inquiète de cette impression de me rapprocher inexorablement de la violence physique. D'autant que, ce soir, je n'étais pas énervée à peine deux secondes avant. De colère, elle a envoyé valser un téléphone par terre, je n'avais pas anticipé son mouvement, et mon geste-réponse est parti sans que j'ai eu le temps de le voir venir non plus.

Désespérée parce que je me cramponnais un peu jusque là à l'idée que je n'ai qu'à passer le relais à Nawimba quand je sens monter la colère de façon incontrôlable. Comment je vais faire si ça fuse, comme ça?

Je discutais l'autre jour avec un contact Mastodon des cris. De comment ça le rendait malheureux, de crier sur sa gamine, de pas arriver à s'en empêcher. De la culpabilité. A un moment je lui ai dit qu'évidemment, moi aussi, et que c'était nul, mais que la colère rentrée, froide, c'était pas forcément mieux. J'avais en tête certaines colères de ma propre mère, très contenues. Et j'ai repensé à ce moment, il y a quelques années, où Nawimba m'avait dit "Ta mère, quand elle est colère, ça fait un peu peur quand même". J'avais commencé à répondre "Mais pas du t.." avant d'avoir une espèce d'illumination. Ah ben oui, tiens. C'est vrai en fait. Les colères de ma mère, c'est un peu flippant. Tu sens que ça bouillonne, et elle te criera pas dessus, mais tu sais que c'est un peu meurtrier à l'intérieur, quand même. Ça m'avait beaucoup soulagée, de pouvoir me dire ça. Que peut-être, la colère de ma mère avait été un truc angoissant, pour moi, petite. Que la colère, ça pourrait tuer. Et que c'est de là que j'avais tiré l'idée qu'il était inacceptable de se mettre en rogne, ou de le montrer.

Je sais qu'il y a eu des années, pendant mon enfance et ma pré-adolescence, où j'ai beaucoup mis ma mère en colère. J'ai pris quelques gifles, je ne saurais pas dire combien. 3 ou 4, peut-être? Je n'en garde pas un souvenir traumatisant (à vrai dire, j'en garde très peu de souvenir tout court), je sais, et j'ai toujours su, que ce n'était pas un principe d'éducation, mais des gestes qu'elle n'avait pas pu retenir. On en a toujours reparlé une fois la crise retombée.

Ce que je me demande maintenant, c'est: qu'est ce que je faisais, à l'époque, qui passait les bornes. Ses bornes. Je crois qu'un mot prononcé dans ces moments là était "insolence", mais ça ne correspond pas bien au fonctionnement de ma famille, où l'irrévérence est en général plutôt saluée, et où les enfants n'ont en tout cas pas spécialement à se taire et à baisser le nez devant les adultes. L'image, un peu floue, que j'ai de ces moments où la colère de ma mère la débordait, c'est un truc un peu hystérique, où je n'arrivais pas à m'arrêter de "remettre cent balles dans la machine". La gifle arrêtait net l'excitation folle.

Les moments où je me sens devenir violente avec le Moineau n'ont pas grand chose à voir avec le fait qu'elle me "réponde", ou qu'elle soit "insolente", ou quoi que ce soit du genre. En général (pas ce soir), ça vient au terme d'une accumulation de moments où j'envoie le signal qu'il faut arrêter de m'agresser, et où elle n'y arrive pas. Mon sentiment est que je déploie différentes stratégies d'évitement (je suis forte, à ça, moi aussi, les chiens font pas des chats), de messages d'alerte, j'essaye de prévenir que je suis en train de me mettre en ébullition, je tente des replis. Et elle m'accule, me pousse dans mes derniers retranchements.

Hier, par exemple, Nawimba et moi faisions une visio avec des copains à lui. Il n'avait pas le moral, et avait besoin de ce moment. Comme le Moineau avait envie de voir aussi un peu les gens, et qu'on était samedi, on l'avait (un peu lâchement, pour éviter la crise) autorisée à se coucher un peu plus tard. Mais on ne s'occupait pas assez d'elle, et assez rapidement, elle a commencé à être relou. Et notamment, alors que j'étais déjà assez énervée contre elle, à venir coller son visage très près du mien. Elle essayait de me regarder dans les yeux à 2-3 cm de mon visage. Ce qui dans un contexte d'agacement, est horriblement agressif pour moi. J'avais l'impression de ne plus pouvoir lui échapper, physiquement. Et je me suis sentie, là encore, à deux doigts de lui faire mal.

Je peux me contenir. Je me contiens longtemps. J'ai tout un arsenal de stratégies pour ne pas me fâcher et aller cuver ma colère entre moi et moi. Mais assez rarement, j'ai l'impression d'être privée de toutes ces ressources par la personne en face de moi. Qu'elle ne me laissera pas de répit, pas de possibilité de me reprendre. Malheureusement, ces derniers mois, ma fille fait partie de ces personnes. Et le vase-clos du confinement en rajoute une couche dans le sentiment de ne pas pouvoir échapper au truc.

Faut que je trouve quelque chose pour faire soupape (pour moi, et éventuellement pour elle), ça commence à urger...

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.lecentredumotif.fr/dotclear/index.php?trackback/15

Fil des commentaires de ce billet